Ces femmes ont aussi contribué à la naissance de la patrie haïtienne
Rosny Ladouceur
Victoria Montou, Sanite Belair, Marie Jeanne Lamartinière ainsi que Marie-Claire Heureuse ont aussi combattu aux côtés de nos héros pour la libération des noirs. Pourquoi l’on ne tire des tiroirs de l’oubli chaque 18 mai que Catherine Flon ?
1er janvier 1804, de vaillants esclaves aux piedx calleux et à la dignité écrasée par l’enfer colonial ont arraché des colons français leur liberté, leur droit à la vie. C’est tout un monde qui s’écroule. C’est tout un autre qui renait des cendres d’une lutte sanglante qu’ont livré nos valeureux aïeux et nos aïeules. À part Catherine Flon, Marie Claire-Heureuse et, dans une moindre mesure, Sanie Belair, certaines occupent très peu la mémoire de bon nombre d’héritiers de cette île libre. Ces femmes, au même titre que nos héros, ont chamboulé le colonialisme vil des plus grandes puissances européennes de l’époque et ont défié l’esclavage. Mais de tout cela, elles ont donné une belle leçon d’humanité au monde entier. Leurs noms résonnent peu dans l’historiographie haïtienne. LoopHaïti veut balayer cette occultation en répertoriant quelques figures de femmes célèbres qui ont aussi contribué à cette fière conquête de liberté.
Catherine Flon : dignité et fierté cousues
Si l’on doit une dette à d’autres icônes, inclassables et valeureuses, Catherine Flon dont un collège à la commune de Carrefour porte depuis plus de quatre siècles son nom, est certainement l’une de toutes celles qui ont tissé cette fierté haïtienne. La filleule de l’empereur Jean-Jacques Dessalines que l’on tire des tiroirs de l’oubli chaque 18 mai a cousu le bicolore qui devrait conduire les esclaves à la victoire et à la liberté.
Claire-Heureuse : une leçon d’humanité
Mais Marie Claire-Heureuse Félicité Bonheur traine rarement dans les annales ou manuels d’histoire. Thomas Madiou, premier historien haïtien, a écrit : « À voir cette prestigieuse et solide notoriété dont semble, aujourd'hui encore, s'entourer le nom de Claire Heureuse, on est, à première vue, toujours tenté d'y voir le reflet magnifié d'un renom de cour, le produit du rayonnement d'un nom (celui du Fondateur),vivace et profus, tout au cours de notre histoire, et dont elle n'aurait été, en fait, qu'un des multiples effets. Pourtant, à la considérer de près, la gloire impériale, s'il en a jamais été, de cette femme qui a vécu centenaire, n'a -t-elle pas été, comparée à d'autres, que de très courte durée (1801-1807), et un regard même sommaire, par exemple, sur des contemporaines telles Suzanne Louverture et la reine Marie-Louise, épouses d'hommes d'Etat au demeurant, tout aussi célèbres que Dessalines (Toussaint Louverture, Henry Christophe ), ne les montre-t-il pas plutôt pâlotes et leurs noms, le plus souvent, relégués dans l'oubli? Force nous est donc, on le voit, de faire montre de plus de circonspection et de nous demander si, dans de cette étonnante vitalité d'un nom (il n'a cessé tout au long de l'histoire d'inspirer poèmes et pièces), n'entrerait pas beaucoup plus, tout bien considéré, le fait bien plus probant d'une attachante particularité qui n'a laissé de frapper tout au cours de la longue vie de Claire Heureuse », née en 1758 à Léogane. Première infirmière connue de l’histoire, poursuit Madiou.
Elle ne manquera pas de se distinguer hautement à la considération de tous quand, nous rapporte-t-on, la ville ravagée par la famine et par la mort et au bord de succomber, elle parvient, par sa seule force de persuasion, à obtenir du général Jean-Jacques Dessalines, un des commandants des troupes assiégeantes, et qu'elle verrait à l'occasion pour la première fois, l'autorisation de pénétrer dans les murs pour porter aide et assistance aux blessés. Et, «le surlendemain, on vit sortir de Léogane un cortège de femmes et de jeunes filles, montées sur des mulets courbés sur le fardeau des provisions alimentaires, des médicaments et divers objets de pansement.(...) Claire-Heureuse tira de l'angoisse, de la mort, des centaines de vieillards, de femmes et d'enfants. Elle alluma le feu sous des trépieds improvisés, éplucha les légumes elle-même..., on la vit déballer des caisses de médicaments et panser, avec l'aide de ses amies de Léogane, de nombreux blessés de guerre».
Suzanne : celle sans qui l’indépendance n’aurait pas pu gifler l’arrogance du colon blanc
Suzanne « Sanite » Bélair affranchie, combattit avec les troupes de Toussaint Louverture comme sergent. En 1796, elle avait épousé Charles Bélair, qui combattit avec Toussaint comme commandant de brigade et plus tard comme général. Après avoir été capturé en 1802 alors qu'il combattait les troupes du général français Leclerc, Charles Bélair son mari, dans un effort pour la rejoindre, se rendit aux ravisseurs. Ils ont été amenés au Cap et condamnés à mort. Parce qu'elle était une femme, les ravisseurs ont insisté sur un mode d'exécution différent pour elle et son mari Charles. Sanite Bélair devait être décapitée et Charles être exécuté par un peloton d'exécution.
Elle a refusé de mourir comme un soldat commun et a regardé son mari mourir. Il lui avait parlé d'une voix calme en lui demandant de mourir courageusement. Sanite Bélair a refusé d'avoir les yeux bandés et a réussi une exécution de la même manière que son mari. Elle est considérée comme l'un des grands héros de la lutte pour l'indépendance ainsi que comme l'une des innombrables femmes importantes, sans lesquelles la révolution haïtienne n'aurait pas pu réussir, menant à l'indépendance et à la libération de l'esclavage en 1804.
Marie Jeanne Lamartinière : une vie inconnue
Lamartinière a servi à la bataille de la Crête-à-Pierrot, éclatée en 1802 et s'est battue en uniforme masculin, ce qui a fait une grande impression avec son intrépidité et son courage. Lamartinière aurait relevé le moral de ses collègues par sa bravoure. Sa vie après l'indépendance est inconnue. Une vieille histoire raconte qu'elle fut, un temps, impliquée dans une relation avec l'empereur Jean-Jacques Dessalines qui admira son courage mais qu'elle épousa plus tard l'officier Larose. Ceci n'est pas confirmé mais provient d'une source contemporaine considérée digne de confiance, relatée par l'un des autres soldats de Crête-à-Pierrot. La plupart des femmes participant à la révolution restent anonymes et, seules quelques-unes, sont connues dans l'histoire. D'autres exemples contemporains de femmes dans l'armée haïtienne sont Victoria Montou.
Victoria Montou : une solide réputation guerrière
Jean Baptiste-Mirambeau reste, jusqu’ici, le seul à avoir collé une identité à ce nom. Tante de Jean-Jacques Dessalines, Toya (de son surnom) a acquiert une solide réputation guerrière pour avoir combattu dans l’armée de Jean-Jacques Dessalines pendant la révolution haïtienne. Décrite par Mirambeau comme « une femme au tempérament réfractaire et énergique, Victoria Montou s’est battue comme soldat actif pendant la rébellion des esclaves. À sa mort, Jean-Jacques Dessalines déclara : « Cette femme est ma tante. Soignez-la comme vous m’auriez soigné moi-même. Elle a eu à subir, comme moi, toutes les peines, toutes les émotions durant le temps que nous étions condamnés côte à côte aux travaux dans les champs ». Toya a reçu des funérailles nationales, rapporte-t-on, avec une procession de huit sergents et de l’impératrice Marie-Claire Heureuse.