Il s’agit pourtant du même produit car ils portent tout deux le même nom : Clément Select Barrel. Mais il ne s’agit à priori pas du même rhum selon la version sur laquelle vous tomberez… Alors dédoublement de la personnalité? Schizophrénie aigüe? Ou plus simplement tour de passe-passe visant à boucher les trous d’une demande de plus en plus vorace ? En tout cas Clément ne semble pas vraiment vouloir communiquer sur ces différences, à part insister sur le fait qu’un de ces produits est à destination des Bartender et du marché US. Mais lequel au juste? Interrogés sur le sujet, des commerçants (de tous bords, virtuels ou non) attestent avoir vendu le rhum sous le mauvais visuel ; d’autres ont reçu un réapprovisionnement avec un Select Barrel différent du premier, sans en être informé (ni par la marque, ni par le distributeur) et sans que le prix ne change. Cas plutôt inquiétant, l’un d’entre eux a même remarqué un code barre identique sur les deux versions (cas qui ne s’est produit qu’une seule fois à notre connaissance, et sûrement du à une bête erreur d’étiquetage). Il se pourrait alors, qu’au final, le rhum soit identique ? C’est en tout cas ce que Clément laisse entendre, mettant en avant l’appellation « Des Antilles Françaises » pour le marché US à qui le nom Martinique ferait peur. Comparaison et analyse croisée N’ayant pas d’information concrète (ni claire) de la part de la marque, il a donc été décidé d’acheter les deux bouteilles afin de les comparer (version sans âge et version Martinique/AOC), par la dégustation, et en les faisant analyser par un laboratoire indépendant. Cela devrait écarter quelques doutes quant au contenant de ces deux bouteilles. Voici ci-dessous les résultats croisés des analyses faites en laboratoire :
Titre alcoométrique volumique Il s’agit ici de vérifier la conformité du degré affiché sur les étiquettes des bouteilles, en le comparant avec celui mesuré par le laboratoire. Les 2 Select Barrel affichent 40% (ou 40°). Le « titre alcoométrique brut » est calculé via un densimètre (le même outil utilisé pour mes tests), alors que le » titre alcoométrique réel » est celui qui donnera le degré exact, puisque mesuré directement par distillation. Nous pouvons en conclure que la version ‘sans âge’ du Select Barrel est à la limite de ce qui est autorisé par la loi, avec une différence de 0,27% entre le degré affiché sur la bouteille et celui mesuré par le laboratoire d’analyse. L’écart autorisé et toléré par la loi est de +/- 0,3% . La version Martinique/AOC est elle au delà de la tolérance réglementaire et affiche un écart de 0,64%. Obscuration / Extrait sec Les degrés d’obscuration constatés sont ici de 1,3 et 1,4. Il s’agit du taux généralement constaté pour des rhums âgés de plus de 8 ans. Or, nous sommes ici face à un rhum vieux assumé (3 ans donc) et un rhum sans âge (que l’on imagine tout logiquement à moins de 3 ans, et plus vraisemblablement un Rhum Elevé Sous Bois/RESB). Les résultats du laboratoire laissent donc penser qu’il y a eu un ajout important de substances sur les deux produits testés : s’agirait-il de boisé? de sucre ? Pour le laboratoire, les taux d’extrait sec « révèlent effectivement un taux de sucres à peu près équivalent, moins d’1g/l étant constitué de tanins du bois aussi corrélés dans l’analyse à l’acidité fixe. Cette teneur peut être très variable selon l’édulcoration recherchée. » Soit 6gr/L pour la version sans âge, et plus surprenant, d’avantage pour le rhum AOC : 6,7gr/L. Acidité/Substances volatiles/Méthanol/Esters L’écart d’acidité entre le rhum sans âge et le rhum Martinique/AOC (66mg/L) correspond à celui constaté entre un rhum de 18 mois et de 3 ans, ce qui tend à penser que ces deux rhums oscillent entre ces deux âges. Les sommes de substances volatiles sont dans les normes, et nous renseignent sur le caractère agricole -et riche- des deux rhums. L’écart constaté entre le rhum ‘sans âge’ et le rhum Martinique/AOC est dans la norme de celui habituellement constaté entre un rhum ESB (élevé sous bois) et un rhum vieux. Par contre, les résultats montrent que l’on se trouve à 3 fois la norme usuelle en Martinique pour le totale, et jusqu’à 2 fois le maximum connu ; ces valeurs démultipliées apparaissent alors illogiques. Après renseignement, il pourrait s’agir d’un emploi de caramel sodique, mais cela reste une pure hypothèse (et donc sans quelconque valeur). La somme TNA (total non alcool) indique donc bien l’origine agricole, mais pour la version AOC nous trouvons un résultat 1,2 fois supérieur à celui du rhum sans âge ; en proportion, nous pouvons en déduire que celui-ci pourrait être âgé entre 2 et 2,5 ans. Le total des esters et méthanol tendent vers cette idée et montrent bien un temps de passage sous-bois moindre pour le rhum sans âge. Il ne s’agit donc pas du même rhum Après ces résultats de laboratoire, réalisé sur des bouteilles de Select Barrel ‘sans âge’ (Lot L139/15) et Select Barrel Martinique/AOC (Lot L322/14), place à la comparaison gustative que l’on espère tout aussi riche d’enseignements. Dégustations de Clément Select Barrel et Clément Select Barrel / 40° – 40°Le Select Barrel ‘sans âge’ propose une robe ambrée, tandis que la version Martinique/AOC est nettement plus soutenue (voir les photos ci-contre). Elle est aussi plus grasse côté AOC avec l’impression d’un rhum plus mature. Au Nez, le rhum ‘sans âge’ est très simple, doux, et délivre des effluves de vanille, de fruits séchés et sucrés, de fruits au sirop. C’est doux, les épices et l’alcool chatouillent le nez et le boisé est assez vif (jeune) et sec. Le rhum Martinique/AOC est très différent : beaucoup plus végétal, plus complexe aussi en comparaison direct. On y trouve des odeurs de foin, d’herbes macérées qui lui donnent de la corpulence et une identité forte de rhum agricole, avec une rondeur très mature, sur le fruit pourri et sucré, du cacao amer, très loin du rhum ‘sans âge’. Le repos lui donne même un peu plus d’assurance, du chocolat au lait, laiteux et sérieux, mais travaillé et plaisant. Là où la version mystère ne bouge déjà plus. La bouche du Select Barrel sans âge est très simple, très douce, sur les fruits secs sucrés et un boisé épicé, légèrement piquant (sur le poivre essentiellement) ; le rhum devient huileux en bouche, voir un poil sirupeux, mais sans en dévoiler d’avantage au niveau aromatique (est-ce là qu’un sucre éventuel intervient? un boisé spécifique?), presque collant au final. Alors que le nez est très simple, la bouche dévoile un rhum sans réel relief, axé sur le bois et les épices, et un peu de vanille. La fin de bouche est sèche et rapide, sur l’alcool, avec l’impression que le rhum s’évapore en bouche avant de faire le travail ; reste une sécheresse assez neutre et quelques épices (qui ressemblent assez à celle des ron). La bouche du rhum Martinique/AOC est huileuse et apparait beaucoup plus concentrée : sur des fruits macérés (+ agrumes) mélangés aux épices chaudes et puissantes : poivre, muscade, en plus de vanille et d’un boisé qui semble plus abouti, même si le rhum reste sucré en bouche, et assez acide. Le rhum travaille en bouche et reste concentré et aromatique, il évolue, il est vivant et c’est à minima ce que l’on demande à un rhum, qui plus est agricole. La fin de bouche est assez rapide et laissera des notes sèches et boisées, poivrées, et plutôt simples. Select Barrel ‘sans âge’ : un rhum au nez léger et vanillé, et à la bouche très simple jusqu’à une finale sur l’alcool et très sèche. Un rhum à mélanger mais qui n’aura que très peu, voire aucun intérêt en dégustation pure. Note: 63 Select Barrel ‘Martinique/AOC’ : un rhum nettement meilleur pour le même prix, faut-il encore tomber dessus. Note : 78 Voilà donc un bel exemple de schizophrénie avérée, certes, mais une dégustation riche d’enseignements: on sent le coté peu qualitatif du rhum sans origine, très simple, aux notes d’alcool prononcées ; le sucre apporte cette touche huileuse en bouche, mais qui ne trompera sans doute pas l’amateur averti, car elle dénote avec la simplicité du reste, et l’absence de notes aromatiques et de richesses. Le Select Barrel Martinique/AOC est très au-dessus, et propose à la fois un nez et une bouche concentré et aromatique, très correct. Le sucre y est plus important que la version sans âge, mais semble mieux incorporé. Le rhum ‘sans âge’ serait une sélection pour barmen selon quelques publicités de Clément, et vendu comme « un rhum de bar premium » : il est alors très étonnant de voir que pour le même prix, le barman pourra proposer un rhum plus caractériel, en plus d’être AOC, en jouant sur l’origine même du produit, et donc avec un intérêt gustatif, qualitatif et historique tout autre. A partir de là, pourquoi ces deux rhums différents distribués et vendus sous le même nom ? Il est à noter que les deux sont sucrés: le rhum Martinique/AOC l’est étonnement plus que la version sans âge, ce que mes tests ‘maison’ n’avaient d’ailleurs pas montrés ; mais l’analyse en laboratoire oui… notamment avec une plus grosse différence entre le degré affiché par Clément et le degré mesuré par distillation du laboratoire (qui rappelons-le, est au-dessus de la limite réglementaire). Rien n’est malheureusement fait pour permettre une nouvelle fois au consommateur de s’y retrouver, ni même aux vendeurs d’ailleurs, ce qui peut paraitre encore plus surprenant. En tout cas, voila bien le premier cas réel de NAS (No Age Satement) dans le monde agricole… et celui d’un nouveau rhum AOC édulcoré. Une nouvelle fois, la vigilance est de mise, courage… 90 et + : rhum exceptionnel et unique, c’est le must du must entre 85 et 89 : rhum très recommandé, avec ce petit quelque chose qui fait la différence entre 80 et 84 : rhum recommandable 75-79 POINTS : au-dessus de la moyenne 70-74 POINTS : dans la moyenne basse moins de 70 : pas très bon |