A propos de "La Défaite de la pensée"
Errol Nuissier
"La défaite de la pensée a frappé les esprits. Par l'ampleur de son succès d'abord. Ensuite, par son titre. Un titre trompeur, cependant, car Alain Finkielkraut, le «mécontemporain» considérable, y stigmatise moins une défaite de la pensée qu'il n'analyse la montée d'une nouvelle barbarie.
Il trace les chemins tortueux qui ont conduit à la disparition progressive d'un monde où pouvait encore s'exercer l'autorité des grandes oeuvres de l'esprit et montre par quelle ruse de la raison démocratique, par quelle perversion de l'esprit des Lumières s'est instauré le règne de l'intolérance et de l'infantilisme dans la culture: «La pensée cède doucement la place au face-à-face terrible et dérisoire du fanatique et du zombie.»
Cet extrait fait partie d'un article publié dans l'Express par Jean Monteno, il y a exactement 13 ans. Il rappelle, la triste réalité dans laquelle nous baignons tous les jours. c'est, pour employer une expression plus moderne, la valorisation de la médiocratie, qui consiste par exemple, à élire Donald Trump, Président des États-Unis, simplement, pour rétablir l'ordre, pour empêcher l'invasion des mexicains et autres arabes, mais surtout pour tenter de retrouver la suprématie de la race blanche. Mais c'est très récemment le cas du Brésil, avec l'élection de Bolsonaro, qui associe culture, environnement et agriculture, pour rétablir la paix et la sécurité, ce que les gouvernements précédents n'ont pu garantir.
C'est aussi chez nous, voter pour le candidat qui dit avoir reçu une mission divine en rêve, celle de sauver la Guadeloupe, en assistant tous ceux qui sont dans le besoin, au lieu de les inciter à apprendre, à se former, à travailler, pour développer leur savoir, leurs compétences, et surtout participer à construire la Guadeloupe de demain. Mais, comme on dit de manière classique, on ne peut donner comme modèle, que celui que l'on a suivi.
Aujourd'hui, nous sommes au niveau mondial dans la situation du fascisme décomplexé. En effet, le Front National change de nom et s'appelle le Rassemblement National, ce qui permettra aux derniers réticents de franchir le pas et, surtout, il s'associe de façon régulière, à d'autres parties aussi fascistes que lui-même, pour le bonheur de la suprématie blanche, catholique, contre ce monde de migrants, qui cherchent absolument à la détruire, à la convertir à un islam forcé. Mais c'est aussi, cette dérive des mouvements extrémistes et terroristes islamiques, qui se nourrissent aussi, d'une littérature extrême, d'une pensée extrême, ou plutôt d'une pensée simpliste, qui consiste à désigner un seul et unique ennemi, afin de prétendre que si on le détruit, si on l'exclut, tout ira mieux, de manière totalement miraculeuse.
Or force est de constater, qu'un tel mode de pensée, car il ne s'agit pas d'un raisonnement qui nécessite pour cela un nombre de neurones actifs plus élevé, semble aujourd'hui, l'exemple le plus flagrant d'un phénomène que l'on critique depuis plusieurs années, celui de la mondialisation. Cette mondialisation qui serait caractérisée par une forme de pensée unique, qui voudrait que tous les hommes, finissent par penser de la même manière, pour faire du monde un seul pays, une seule et unique culture, un seul et unique mode de vie. Si effectivement ce fantasme de destruction de la Tour de Babel se réalisait, cela permettrait aux hommes de se rapprocher, de mieux se comprendre, mais en réalité, il ne s'agit pas de tenter de trouver un référentiel commun, mais bien de détruire tout référentiel différent du nôtre. L'annulation de toute différence, la recherche de l'uniformisation à tout prix, par la destruction de la différence, constituent en réalité, une forme de défaite de la pensée, telle que la décrit le philosophe français Alain Finkelkraut.
Nous pouvons trouver au moins deux causes, à cette défaite de la pensée qui se poursuit, pour la remplacer peu à peu par le fanatisme, forme de pensée toute faite dans laquelle les solutions à tous les problèmes sont pré-pensés et de fait nous rassure car nous n'avons plus à faire l'effort de chercher des explications, ni de réfléchir.
La première cause serait, à tout seigneur tout honneur, une forme de la défaite de la pensée des intellectuels. En effet, leur capacité à renoncer progressivement et parfois brutalement à un combat antérieur, mené souvent avec acharnement, leur capacité à renoncer à la voie qu'ils avaient choisie jadis, et qui n'était pas la plus facile, mais qui était la plus honorable. Leur capacité à renoncer à leurs idéaux, et pour tout dire à leurs rêves de transformer la société, en échange d'une simple nomination politique, d'un simple strapontin, d'une simple responsabilité administrative ou dans une entreprise, moyennant une rémunération jamais obtenue jusqu'alors, en acceptant de passer sous la coupe de dirigeants, politiques, religieux ou d'entreprises, et de renoncer de fait à leurs idées tant chéries, est désarmante. Le désir de ne pas laisser passer cette unique chance de leur vie doit être saisie à toux prix ou plutôt à n'importe quel prix. Et c'est là que l'on constate le faible prix de l'honneur, mot soudainement devenu creux et vide de sens. Automatiquement, l'exemple venant d'en haut, le bon peuple qui voit que ces têtes pensantes acceptent, de se dédire, de changer de discours, le peuple qui constate que de renoncements en reculades, leur référent, celui qu'ils ont adoré et idéalisé, se laisse acheter pour un plat de lentilles se dit que c'est l'exemple à suivre. Mais comme il n'a pas les moyens d'être admis dans le cercle de ces parvenus, il se dit que c'est en raison de l'étranger qui lui a piqué sa place. Il dévie sa colère du dirigeant vers le plus faible et l'étranger est le faible par excellence. Par conséquent, l'intellectuel se faisant, confirme bien cette citation de Marcel Pagnol dans César, "l'honneur c'est comme les allumettes, cela ne sert qu'une fois". Une fois qu'ils se sont laissés avoir, à tout accepter, serpents, couleuvres, ils peuvent tout avaler, pourvu que cela leur remplisse le ventre. Mais un peu honteux, ils gardent dans un premier temps, le discours militant devant le grand public qui n'est plus dupe de leur supercherie, puis dans un second temps, ils vont donner moults explications savantes, allant jusqu'à dire que finalement, ce qu'ils pensaient auparavant, n'était qu'erreur, que chimère. Ce faisant ils alimentent la perte de l'espoir de ceux qui les vénère, perte d'espoir qui se transforme en tristesse, puis en colère, puis en haine. Et leur désenchantement devient d'une part le peu de considération pour ceux qui les dirigent, allant jusqu'à élire des pantins et d'autre part, il se mue en la recherche d'un nouvel espoir qui va leur rendre leur dirigeant dans sa grandeur, la grandeur du pays et la grandeur du peuple. D'où l'élection d'anciens militaires ou de politiques au discours musclé de fascisme.
La seconde explication vient du peuple lui-même. C'est celle qui consiste à renoncer à faire fonctionner l'ascenseur social, pour sortir d'un état initial de faibles connaissances, pour renoncer à produire l'effort nécessaire pour se grandir, pour apprendre, pour finalement essayer de devenir quelqu'un. Mais ce refus de faire fonctionner l'ascenseur social est légitimé par la trahison de l'élite pensante, des intellectuelles, qui cessent de penser dès réception d'un poste de dirigeant, de responsabilité, auxquels ils ne cessaient de rêver, en se tenant toujours aux aguets, à chaque changement de pouvoir politique. Cette défaite de la pensée qui se traduit par le refus de montrer dans l'ascenseur social se traduit dans le discours quotidien du bon peuple. Aujourd'hui, il n'est pas rare d'entendre un citoyen lambda vous dire, qu'il suffit de connaître les bonnes personnes, de connaître les bonnes ficelles pour ne pas dire les bonnes magouilles, pour réussir dans la vie, et même pour réussir sa vie. Or en choisissant de freiner notre propre développement, nous choisissons de freiner celui de l'humanité toute entière. En effet, chacun de nous fait partie de ces 7 milliards d'individus peuplant la Terre. Et comme chacun de ces 7 milliards, nous sommes tous soumis à ce que Jean-Paul Sartre appelait la contingence, qui signifie que rien de ce qui peut m'arriver ne peut être étranger à l'autre, que je suis responsable de mon destin, mais aussi de celui de ceux qui m'entourent et que de ce fait, nous ne pouvons être que des semblables ou des étrangers, les uns par rapport aux autres.
Nous sommes responsables à la fois de notre destin, mais de celui de nos voisins et plus encore, du destin de l'humanité. Alors cessons de nous cacher derrière notre petit doigt, cessons de rendre responsables de notre malheur supposé en criant famine sur un tas de sucre, de mangues, de fruit à pain et que sais-je (tandis qu'il y a des gens qui meurent vraiment de faim) des étrangers. Cessons de rendre responsables de notre malheur supposé, les migrants, les étrangers, les voleurs, les violeurs, et je ne sais quel métèque, et commençons par nous regarder dans le miroir, pour nous demander ce que nous, nous devons faire pour faire avancer notre pays, et non pas pour demander au pays ce qu'il doit faire pour notre avancée. Pour paraphraser le discours de John Fitzgerald Kennedy, au lendemain de son élection à la présidence des États-Unis. Arrêtons de demander à l'Etat, aux politiques, aux patrons et je ne sais à qui encore, ce qu'ils peuvent faire pour nous, mais commençons par nous dire à nous même, ce que nous pouvons faire, ce que nous devons faire, pour faire avancer notre pays, ce que nous devons faire pour faire avancer l'humanité, avant de chercher des responsables à tout-va et nous vautrer dans la défaite de la pensée.
Errol NUISSIER, le 31 octobre 2018, 15 ans après l'article sur Le défaite de la pensée" Alain FINKIELKRAUT.
Psychologue Clinicien
Expert près la cour d’Appel de Basse-Terre
Agréé par la Cour de Cassation
Chargé d’Enseignement à l’Université des Antilles
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