Les familles de Pécoul à Saint-Pierre arrachent leur titre de propriété contre le Béké et pour la Dignité
Il y a 12 ans, précisément le 26 juillet 2006, six familles habitant sur l’Habitation Depaz à Pécoul dans la commune de Saint-Pierre recevaient de la société d’Exploitation Agricole de la Montagne Pelée (SEAMP, société devenue Propriétaire des lieux à capitaux békés et français) un courrier comminatoire leur signifiant de laisser les lieux au plus tard en décembre 2006.
Ces six familles vivaient sur place depuis des décennies. La plupart de ces membres y est né. Toutes ces personnes ont travaillé sur l’habitation ou sont les descendants de travailleurs de cette habitation. Certains enfants y sont encore salariés. Ces pères et mères de familles ont contribué par leur sacrifice, leur courage, leur souffrance et leur sueur à mettre en valeur l’outil de travail et à faire la richesse de cette habitation et donc des différents propriétaires békés et européens de l’habitation Depaz. Il s’agit de ce que l’histoire a retenu sous le nom de travailleurs « casés ». Les constructions où vivent ces familles ont été faites par leurs ancêtres et améliorés au fil du temps par les descendants. Il reste que la terre était considérée comme étant celle du propriétaire de l’habitation.
Les citrons étant bien pressés, ces familles n’étant plus utile, même pour une « tit couleur local», le maître des lieux décida qu’elles devaient partir sans autre forme de procès : « Déwò, fouté likan asou tè mwen », c’est cette terrible réalité qu’ont vécu ces femmes et hommes.
Mais par leur histoire, leur combat d’une décennie, ces familles sont devenues les Occupants Légitimes de Pécoul.
Face à cette lettre de mépris de 2006, cette attitude scélérate des profiteurs, ces familles se sont organisées en créant un comité des occupants légitimes qui a obtenu un soutien important au fil du temps.
Leur mot d’ordre était aussi simple et concis, à la même hauteur que le « mach » qu’on voulait leur infliger : « Sé la nou né, sé la nou ké mò ».
Ce ne fut pas un combat facile du fait de l’aliénation encore présente dans la tête de nombreux martiniquais. Cette mémoire collective qui veut qu’il ne faille ni voler, ni toucher la terre du maître, la terre du béké. Combien de fois la désespérance a-t-elle voulu s’inscrire dans l’esprit de ces hommes et femmes au long de ces dix ans de combat ?
Dix années de réunions et manifestations dont la presse a pu se faire écho, en particulier les nombreux rassemblements, ont permis d’entourer ces familles d’une solidarité importante et consciente de l’enjeu. Ce combat a suscité une adhésion de plus en plus forte d’une partie de la population comme en a témoigné la commémoration du 22mai 2018 où pas moins de 3oo personnes sont venues sur les lieux inauguré sur place la Cour de l’esclave Romain, celui qui en 1848 battit le rappel de la révolution antiesclavagiste !
Fort de cette solidarité et de l’esprit de Romain, le comité et les familles ont arraché leur droit légitime et obtenu gain de cause.
Le projet d’expulsion a été abandonné. Même celui visant à reloger ailleurs ces familles n’a pas abouti. La société La Montagne a accepté que par le biais de la municipalité que ces familles deviennent propriétaire de la terre qu’elles occupent depuis nanni nannan !
C’est ainsi que le vendredi 29 novembre 2018, ces 6 familles étaient invitées à la mairie de Saint-Pierre afin de voir la signature de la convention qui devrait aboutir à leur obtenir un titre de propriété. Cette convention a été signée par le Sous-Préfet, le Maire de Saint Pierre, l’Avocat représentant ces familles. Seul Monsieur Pascal BARAT de la société d’exploitation agricole de la Montagne Pelée (EAMP) était absent ayant signé le document auparavant. Dommage pour lui car il aurait pu lire dans les yeux de ces membres des six familles la dignité et la fierté d’avoir gagné ce combat.
Il s’agit à l’échelle de la Martinique d’un évènement historique où des familles populaires ont vu leur droit d’occupant légitime être reconnu. Dans notre pays où la question de la propriété de la terre reste au centre d’une inégalité structurelle, cet évènement est important. Ce combat démontre aussi qu’une lutte populaire peut être victorieuse si elle est unie, si les revendications sont justes et si elle est généreusement soutenue sans s’inscrire dans des petits calculs politiciens et électoraux.
On observera aussi qu’à l’occasion de cette régularisation, les familles auront la possibilité de rénover leur construction et pour trois d’entre elles de les reconstruire.
Il reste un point noir. La convention ne règle pas la situation d’autres familles se trouvant, sur une autre parcelle, dans la même situation d’occupants légitimes.
Le combat doit donc continuer. D’autant qu’il reste à être vigilant à ce que la convention prévoit soit réellement appliqué.
Loné épi respé pou fanmi Pékoul
Comité de soutien aux Occupants Légitimes de Pécoul à Saint-Pierre