Des écrivains haïtiens prennent position et exigent la démission de Jovenel Moïse du pouvoir
LETTRE OUVERTE DES ECRIVAINES ET ECRIVAINS HAÏTIENS A LA NATION
Citoyennes, Citoyens,
Nous ne sommes pas d’accord avec la façon dont nous sommes gouvernés. De cela nous sommes tous convaincus aujourd’hui. Ce consensus puissant est porteur d’une vague qui s’est amorcée il y a quelques mois et qui ne s’arrêtera pas. Le spectacle dégradant que le Président de la République, le gouvernement et la majorité parlementaire donnent à la Nation et au monde est honteux. Nous vivons en direct la déroute d’un gouvernement dépassé, juste préoccupé à sauver ses privilèges et son butin mal acquis sur le dos de la Nation.
Nous sommes indignés. Mais c’est signe que nous sommes vivants et pugnaces. Cette descente aux enfers de la nation est la conséquence d’un système social basé sur l’exclusion et un trop-plein d’inégalités se traduisant en politique par une succession de régimes ou de tentatives autoritaires, loin de tous principes d’équité et de justice sociale. Nous n’en voulons plus.
Nous saluons le courage des hommes et des femmes de ce pays, des jeunes en particulier qui refusant par milliers de baisser les bras, se battent contre l’obscurité qui veut nous recouvrir. Et la rue rebelle, incandescente, imprévisible, déverse sporadiquement ses coulées de rage et de frustration légitime à travers les villes. Criant : Nous n’en pouvons plus d’avoir faim. Nous n’en pouvons plus de souffrir de la négation de nos besoins élémentaires pendant qu’on nous dépouille.
Dans la vie de chaque peuple viennent ces moments où il doit engager son histoire et son destin. Il est venu le temps du changement. Nous unissons nos voix à celles qui demandent la démission du président de la République. Mais disons-le d’emblée, haut et clair, aucune transformation durable de notre société ne se fera sans que soient pris en compte les valeurs et les principes qui seuls peuvent assurer l’avènement d’une société plus juste, solidaire et fraternelle.
Aucune construction démocratique n’est possible en Haïti sans la réduction des inégalités, sans une nouvelle éthique et des moyens pour soutenir le service public dans la valorisation du bien commun.
Aider à construire cette démocratie mais surtout croire que c’est une construction possible, tel est notre combat.
Pour l’heure, il nous incombe de prendre les décisions qui s’imposent sans perdre davantage de temps, et dans l’union.
L’union fait la force! Construisons-là cette union. Prenons au mot les propositions de nos représentants économiques et sociaux, religieux, communautaires, associatifs. Construisons un gouvernement d’unité nationale. Construisons une stratégie prioritaire de redressement de l’État de droit. Cela fait des lustres que nous parlons de conférence nationale, d’états généraux. Mais rien de cela ne sera possible s’il n’y a pas de confiance autour de la table. Ayons le courage de dire tout haut là où le bât blesse. La méfiance, les jalousies, les rivalités, le marronnage, les soifs matérielles nous divisent et nous paralysent surtout. Construisons la confiance et la tolérance pour avancer vers des solutions qui nous ressemblent et nous rassemblent.
Le premier acte susceptible de restaurer la confiance est la tenue légitime du procès PétroCaribe. Une étape essentielle dans notre processus de transformation. Pétrocaribe sera le procès de nos douleurs que nous n’avons pas pu évacuer ensemble après le 12 janvier 2010. Ce sera le procès de tous les génocides éparpillés dans notre histoire, ces morts qui attendent que nous les libérions de notre mémoire endormie. Le procès Pétrocaribe sera surtout l’occasion pour chaque haïtienne et chaque haïtien de s’interroger sur le rapport que nous entretenons avec le bien public, ce qui appartient à tous et est bon pour tous.
Et puis, préparons-nous à voter quand le temps viendra. Préparons-nous à voter dès aujourd’hui mais sur la base de politiques, de stratégies et de programmes d’intérêt national et local à l’édification desquels nous aurons contribué individuellement et collectivement, en particulier dans le cadre de nos organisations institutionnelles, professionnelles et communautaires.
Le mot qui sauve aujourd’hui est ensemble. Nos jeunes l’ont compris. Le mot de la survie est relation. Relation entre les générations. Relation entre les quartiers. Relation entre les groupes sectoriels, sociaux et professionnels. Que les filles et les femmes d’Haïti continuent leurs avancées vers les territoires sociaux et politiques comme ces femmes au Soudan au cœur de la révolte contre un régime décrié. Ensemble sans fausse pudeur. Dépouillés de nos egos trop lourds pour nos vies. Relation avec nos sœurs et frères haïtiens de la diaspora qui souffrent avec nous, qui veulent participer avec nous au grand chantier de reconstruction de notre société. Nous n’avons plus beaucoup de temps. Il n’est plus question de s’adapter vaille que vaille à un système qui ne fonctionne plus. Plus question de se taire et de faire semblant que les choses vont changer comme si cela allait de soi.
Citoyennes et citoyens,
Nous écrivains Haïtiens voulons continuer d’être utiles à la nation en maintenant vive la parole qui alerte, questionne, critique et suscite la conscience critique. Nous voulons d’un État de droit pouvant nous garantir un vrai procès Pétrocaribe historique. Nous voulons de vrais projets sociaux en faveur des populations vulnérables. Nous voulons des politiques publiques cohérentes favorisant la production nationale, l’investissement, l’éducation pour tous, les libertés individuelles, la liberté d’expression, la culture… Nous invitons chacun à jouer son rôle citoyen et à travailler à l’avènement de l’Haïti que nous voulons.
Guy Régis Jr.
James Noël
Néhémy Pierre Dahomey
Marie Andrée Etienne
Frankétienne
Evelyne Trouillot
Verly Dabel
Jean D’Amérique
Lyonel Trouillot
Dieulermesson Petit-Frère
Barbara Prezeau Stefenson
Gary Klang
Kettly Mars
Jacques Adler Jean Pierre
André Fouad
Yanick Lahens
Gary Victor
Béo Monteau
Jean-Robert Léonidas
Verly Dabel
Mirline Pierre
Elsie Suréna
Anthony Phelps
Guy Gérald Ménard
Eddy Toussaint Tontongi
Faubert Bolivar
Makenzy Orcel
Stephane Martelly