TRENELLE-GROSSE ROCHE A...L'HABITATION CLEMENT
Mercredi, 4 Septembre, 2019 - 19:27
Il a un faux air de favela brésilienne, accroché qu'il est, ce quartier de Trénelle-Grosse Roche, aux flancs abrupts du Morne Desaix en haut duquel trône un fort de l'armée française.
Là, dans les années 1950-65, se sont installés ces milliers d'ouvriers agricoles chassés des campagnes martiniquaise par l'effondrement brutal du système plantationnaire, fondé sur la canne à sucre, qui avait régné pendant 3 siècles (1660-1960) presque sans partage. Une vaste migration interne qui ne se fit pas sans déchirement ni difficultés d'adaptation au milieu urbain pour ceux que l'on appelaient nan sans cruauté "les descendus".
Ils ne savaient pour la plupart pas parler français ni lire ni écrire et ne possédaient évidemment aucun titre de propriété. Ce ne fut pas l'un des moindres mérites d'Aimé CESAIRE, alors maire de Fort-de-France, d'avoir tout mis en œuvre au fil des années, cela avec des moyens limités, pour améliorer les conditions d'existence de ces gens dont les ancêtres avaient été les esclaves des Békés, puis les grands-parents ouvriers agricoles de ces mêmes Békés et qui, eux, avaient été licenciés ou ne se voyaient plus offrir d'emploi par les descendants de toujours ces mêmes Békés.
Ces déplacés de l'intérieur surent faire face à la plus extrême misère, aux cases en bois de caisse, en carton, en fibrociment, délabrées par les pluies d'hivernage, aux maladies non soignées faute d'argent, à la mortalité infantile plus élevée que dans le reste de la Martinique, au chômage ou au "djobs" occasionnels et mal payés et à la violence lié à cette même misère, cela dans l'indifférence et le vague mépris d'une mulâtraille urbaine entièrement francisée et créolophobe. En dépit de ces conditions de vie très difficiles, le quartier de Trénelle-Grosse Roche a pu produire des enseignants, des cadres d'administration, des électriciens, des mécaniciens, des architectes et urbanistes, des infirmiers et parfois des médecins et surtout nombre d'artistes dans diverses disciplines, exemplifiant en quelque sorte ce proverbe créole qui affirme que "Neg pa ka mò". C'est cette formidable résilience qui se lit à travers les romans de la Créolité, notamment Texaco (1992) de Patrick CHAMOSEAU et Morne Pichevin (2002) de Raphaël CONFIANT (traduction du roman en langue créole de ce dernier, Bitako-a, paru en 1985), même s'ils évoquent d'autres quartiers populaires.
Or, ne voilà-t-il pas que par une ruse dont l'Histoire, la grande, a le secret, Trénelle-Grosse Roche s'est retrouvée ces jours derniers en plein coeur d'une "Habitation" békée, l'Habitation CLEMENT, propriété du magnat Bernard HAYOT. Un artiste nègre y faisait une exposition ou plutôt une "installation", comme on préfère dire dans le milieu des arts plastiques, de ses dernières œuvres lesquelles représentent la vie d'un quartier populaire qui n'est autre que...Trénelle-Grosse Roche. Installation d'éléments visuels mais aussi sonores grâce un bruitage reproduisant conversations de tous les jours, chants, symphonie des "kabrit-bwa" (criquets) à la nuit tombée ou écoulements d'eau vive. Concept génial s'il en est accompagnant des œuvres d'une grande qualité plastique.
Mais une question surgit : le fait que Trénelle-Grosse Roche investisse de la sorte l'Habitation CLEMENT est-elle une revanche de l'Histoire ? Ou au contraire la preuve d'une réconciliation entre Békés et Nègres ?
Difficile d'y répondre tant le conflit Békés/non-Békés est encore vif à la Martinique. Le PPM et Aimé CESAIRE avaient commis l'erreur, il y a une vingtaine d'années de cela, d'avoir accepté de planter le "Courbaril de la Réconciliation" sur cette même Habitation CLEMENT avec Bernard HAYOT dont personne ne peut douter de la volonté d'apaiser les tensions entre les deux ethno-groupes. Il ne s'agit pas ici de douter de la sincérité des hommes. Ni de celle de CESAIRE. Ni de celle de HAYOT. Il s'agit de pointer du doigt leur aveuglement. Car enfin comment B. HAYOT a-t-il pu restaurer l'Habitation CLEMENT sans avoir jamais pensé à faire reconstruire AUSSI une Rue Cases-Nègres ? Une "Habitation" n'a jamais été la seule maison (ou "Grand'Case") du maître béké. Les esclaves antillais vivaient à portée de voix contrairement aux régions de plantations immenses comme dans le sud des Etats-Unis (Mississipi, Alabama, Louisiane etc.) où il pouvait y avoir 20kms de distance entre la maison du maître et les cases des esclaves.
Comment A. CESAIRE, le père de la Négritude, a-t-il pu accepter de planter cet arbre si symbolique sans exiger qu'au préalable les propriétaires de l'Habitation CLEMENT ne rendent justice à la mémoire des milliers d'esclaves qui s'y sont succédés durant des siècles? Car non seulement il aurait fallu reconstituer une Rue Case-Nègres à l'identique mais aussi et surtout installer une pièce-musée dans laquelle seraient exposés les fers, carcans, fouets, tonneaux etc...avec lesquels les esclaves étaient martyrisés.
Sans l'étape "Vérité", comme dans l'Afrique du Sud de Mandela, qui précède nécessairement l'étape "Réconciliation", il n'y aura jamais d'apaisement en Martinique entre descendants de Békés et descendants d'Africains réduits en esclavage. Les simagrées, le brouillage, de l'Association "TOUS CREOLES" (détournement de la Créolité tout comme le Duvaliérisme est un détournement de la Négritude) n'y pourront absolument rien.
Trénelle-Grosse Roche ne pourra se réconcilier avec l'Habitation quelle qu'elle soit que si TOUT EST MIS A PLAT, que si le passé n'est pas occulté, que si les responsabilités des uns et des autres sont établies, que si un processus de réparation autre que la simple exposition d'œuvres d'art commence à voir le jour. Les artistes nègres qui exposent régulièrement à l'Habitation CLEMENT se devraient d'avoir ces questions en tête s'ils ne veulent pas servir de faire-valoir ou d'alibis...