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POLITIQUE : POURQUOI NE PAS LAISSER LE GOUVERNAIL AUX CHEFS D'ENTREPRISE ?

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POLITIQUE : POURQUOI NE PAS LAISSER LE GOUVERNAIL AUX CHEFS D'ENTREPRISE ?

POLITIQUE : POURQUOI NE PAS LAISSER LE GOUVERNAIL AUX CHEFS D'ENTREPRISE ?
   La vie politique martiniquaise est, depuis un siècle et demi, littéralement occupée (au sens quasi-militaire du terme) par les fonctionnaires et les professions libérales.
   Avant eux, les postes politiques étaient détenus par les Blancs créoles qui au tournant du XXe siècle décidèrent de se recentrer sur leurs seuls affaires (plantations, usines, distilleries et plus tard, supermarchés, concessions automobiles etc.). Bénéficiaires d'une accumulation du capital résultant de l'exploitation d'une main d'œuvre servile et donc non payée pendant des siècles (lire P. Butel, Histoire des Antilles françaises. XVIIe-XXe siècle), puis, après l'abolition, d'une main d'œuvre désormais libre mais scandaleusement sous-payée (lire La Rue Cases-Nègres de J. ZOBEL) et surtout du remboursement de la perte de leurs esclaves par l'Etat français, les Békés n'avaient, en fait, plus besoin d'occuper des postes de maires, députés ou sénateurs. Il leur était plus facile de faire occuper lesdits postes par des hommes de paille et de couleur (lire Agénor Cacoul de G. MAUVOIS).
   Ces hommes dits "de couleur" n'eurent comme seul moyen d'ascension sociale que l'école, si bien dénommée "la terre des gens sans terre", puis, dans un second temps l'université (d'abord en France, puis ici, même, lors de la création de l'ex-Université des Antilles et de la Guyane, il y a un peu plus d'une trentaine d'années). Ils devinrent donc avocats comme le célèbre Marius HURARD qui, tout au long du XIXe siècle, combattit farouchement les Békés, médecins, pharmaciens, dentistes, architectes, ingénieurs ou enseignants. Après l'éruption de la montagne Pelée en 1902, c'est principalement le lycée Schoelcher, puis le lycée de Jeunes filles, tous deux situés à Fort-de-France, qui se chargèrent de former cette nouvelle élite.
   Mais il suffit parfois de remonter à deux générations en arrière s'agissant de telle ou telle famille "mulâtre" qui a aujourd'hui pignon sur rue pour trouver des commandeurs d'habitation, des géreurs ou des économes, tous employés des planteurs ou usiniers békés et en position certes moins pire que les coupeurs de canne mais tout de même licenciables à tout moment (lire Commandeur du sucre de R. CONFIANT). Cependant, contrairement à une idée reçue et largement diffusée par les Békés, les "Negs" ne se contentèrent pas de l'école et dès le St-Pierre d'avant l'éruption, il y eu nombre d'entrepreneurs de couleur et cela dans tous les secteurs de l'activité économique. Y compris celui de la canne à sucre, pourtant domaine quasi-réservé de la caste blanche (lire Les Blancs créoles de la Martinique, une minorité dominante de E. KOVATS-BEAUDOUX).
   Quel Martiniquais sait, par exemple, qu'en 1950, il n'y a pas si longtemps donc, il y avait pas moins de...508 distilleries à la Martinique ? Les 4/5è appartenaient à des "gens de couleur" et étaient de moyenne ou petites distilleries. Malheureusement, ces dernières furent condamnées à dépérir, lentement mais inexorablement suite à la loi sur le contingentement du rhum antillais votée après la première guerre mondiale à la demande des bouilleurs de cru de l'Hexagone. Pendant la Grande Guerre (1914-18), le rhum avait, en effet, servi de réchauffant, de désinfectant et de médicament dans les tranchées et les exportations antillaises avaient décuplé, profitant aussi bien aux riches distillateurs békés qu'aux moyens et petits de couleur. Mais après-guerre, il continuait à trop concurrencer le vin et donc suite au contingentement, le rhum antillais se vit attribuer un quota d'exportation sur le marché français, quota de rhum non taxé donc, toute exportation au-delà de celui-ci l'étant lourdement. Les Békés accaparèrent la totalité du quota et ne laissèrent aux autres distillateurs que le rhum taxé et donc presqu'invendable. Le sort des moyens et petits distillateurs était dès lors scellé : ils allaient mettre la clé sous la porte les uns après les autres entre 1920 et 1955 (lire Régisseur du rhum de R. CONFIANT), sauf la distillerie NEISSON.
   Et après ça, certains Békés auront le toupet de déclarer que "Les Noirs n'ont pas le sens de l'entreprise et qu'ils veulent tous devenir fonctionnaires" ! Sortant de la bouche de semi-analphabètes comme ce crétin de revendeur de matériel nautique qui se prend pour l'intello de la caste, il y a de quoi être révolté et comprendre les réactions comme "Bétjé volè-pwofitè !" ou "Bétjé déwò !" des milliers de manifestants de février 2009. Et ne parlons même pas du CREDIT MARTINIQUAIS qui fut littéralement pillé par certains Békés qui ne finirent jamais en prison et moururent de leur belle mort dans le lit. Abondé grâce aux 40% des fonctionnaires justement, cette banque servit de vache à lait durant des décennies aux Békés qui s'octroyaient des prêts à des taux ridiculement bas que souvent ils ne remboursaient même pas. Jusqu'à que l'Etat français excédé ordonne l'intégration de l'établissement presqu'en faillite au sein de la BRED.
   Or, pour entreprendre en système capitaliste, il faut du...capital. Si l'on n'en a pas, ce qui est le cas de la grande majorité des descendants d'esclaves et d'"hommes de couleur libres", il faut faire un prêt après d'une banque. Oui, mais pour faire un prêt d'une certaine importance, il faut fournir à la banque des garanties (terres, maisons etc.), ce que n'avaient pas, pour la plupart, les non-Békés. Du coup, pas de prêt = pas de création d'entreprise pour ces derniers. Et forcément, ceux-ci se dirigèrent soit vers le fonctionnariat soit vers les professions libérales. Le Béké n'a donc aucunement le sens inné de l'entreprise : il a simplement bénéficié d'une situation historique tri-séculaire qui lui a permis de faire ce qui était très difficile, sinon impossible, aux autres couches sociales.
   Malgré tous ces handicaps, des entrepreneurs "de couleur" réussirent à force d'opiniâtreté et de travail à se faire une place tels les ELYSEE dans le cinéma ou les PARFAIT dans la grande distribution. Une place certes modeste mais qui va en grandissant quand on y adjoint les entrepreneurs de transport scolaires, de travaux publics, de tourisme rural etc. et récemment de jeunes, brillamment diplômés, qui s'investissent dans le domaine des NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication). 
   Les Békés, ayant trahi leur rôle de bourgeoisie nationale, comme l'a bien analysé, Guy CABORT-MASSON (lire de lui Les Puissances d'argent à la Martinique), ne serait-ce pas à à la bourgeoisie de couleur, plus précisément aux entrepreneurs de couleur, de prendre en charge le destin de la Martinique ?
   Nos élus fonctionnaires ou professionnels libéraux ont suffisamment disposé de temps pour faire leurs preuves à tous les postes politiques depuis un demi-siècle, du simple conseiller municipal jusqu'au parlementaire. Ils ont fait ce qu'ils ont pu ! Si l'on écarte les corrompus (hélas bien trop nombreux !), les élus intègres à savoir CESAIRE, GRATIANT, BRANGLIDOR, CAPGRAS, CHARRON, Emile MAURICE, MARAN, MARIE-JEANNE, MALSA etc., toutes tendances politiques confondues, se sont démenés pour tenter de sortir la Martinique de l'ornière.   
   Ne serait-il pas temps qu'ils passent la main, ces fonctionnaires et professionnels libéraux, aux entrepreneurs de couleur qui, eux, parce qu'ils sont en prise directe avec les problèmes économiques, pourraient être en mesure de proposer des solutions innovantes ? Car la situation est explosive, en dépit des efforts méritoires de la CTM dans de nombreux domaines, et l'actuelle montée de la violence armée n'en que l'un des symptômes. Il y aura beau avoir davantage de policiers ou d'éducateurs de rue, cela ne changera pas grand chose au fait que 70% des 20-30 ans est au chômage et survit grâce au RSA, à des "djobs" ou alors à des activités illicites (lire  La Martinique. Société vulnérable de Louis-Félix OZIER-LAFOTAINE). La solidarité familiale et l'émigration servent pour l'instant de soupape de sécurité, mais la cocotte-minute explosera tôt ou tard.
   Les élections municipales approchent et il est sans doute temps que les médecins, dentistes et avocats regagnent leurs cabinets, que les pharmaciens reviennent dans leurs officines, que les enseignants retournent dans leurs salle de classe ou leurs amphis et les autres fonctionnaires leurs administrations etc. pour laisser "le manche du poêle" aux entrepreneurs (de couleur).
   Car ce manche deviendra de plus en plus chaud...

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