INCONSEQUENCE DU PRESIDENT DU PPM SUR LA QUESTION DES PESTICIDES
Fancis CAROLE
Il est curieux d’observer que celui qui, aujourd’hui, préside la commission parlementaire d’enquête sur la chlordécone est celui-là même qui a donné, à deux reprises, son accord pour la poursuite de l’épandage aérien de pesticides quand il était président de la région Martinique. La décision d’arrêter l’épandage aérien viendra, non pas des élus du PPM, pourtant Martiniquais, mais de l’Etat français !!!
Une même logique fonde la position de ceux qui ont prolongé la pratique de l’épandage aérien de pesticides et de ceux qui ont cautionné la poursuite de l’utilisation de la chlordécone que l’on savait nuisible pour la santé des femmes et des hommes de notre pays : la soumission à l’économie bananière et à ses promoteurs, la sacralisation du discours béké au détriment de la santé de nos compatriotes.
L’interview que nous publions ici -qui date de 2012- illustre l’inconscience du président du PPM sur ces questions.
Certes, on peut se tromper. Mais alors il faut avoir le courage de le reconnaître plutôt que de se poser en grand défenseur de la Martinique et d’instrumentaliser cette commission à des fins essentiellement politiciennes et tellement éloignées de la tragédie absolue de l’empoisonnement délibéré du peuple martiniquais.
Francis CAROLE
Mardi 15 octobre 2019.
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Lepalima.org : Depuis plusieurs mois, l’actualité en Martinique est dominée par la question de l’épandage aérien. Le PALIMA est très engagé dans cette bataille. Pourquoi ?
Francis CAROLE : Avant toute chose, nous tenons à noter que le débat instauré sur cette question représente en lui-même une première victoire. Nous devons, en effet, avoir constamment à l’esprit que c’est dans un silence assourdissant que se sont écoulées, en Martinique et en Guadeloupe, deux décennies d’empoisonnement à la chlordécone -des sols, des eaux et des hommes...
Sans ignorer les problématiques liées à l’économie bananière, nous pensons que les exigences de santé publique et de respect de la vie doivent l’emporter sur les considérations économiques et les logiques de profit. L’être humain est le vecteur fondamental du développement et du progrès. Il ne saurait donc être sacrifié aux intérêts marchands.
Après le scandale absolu de la chlordécone, il y a une manière d’indécence intellectuelle et morale à chercher-comme semble le faire le PPM- à mettre sur la même échelle de valeurs la santé de nos compatriotes et la spéculation bananière.
Certes, tout le monde a entendu Victorin LUREL déclarer, avec une assurance de paon, que les produits utilisés ne seraient pas toxiques. On sait cependant que plusieurs études ont au contraire fait la démonstration que les fongicides employés (Gardian, Sico et Tilt 250) sont cancérigènes possibles et très toxiques pour les organismes aquatiques. Concernant l’adjuvant Banole, l’Europe elle- même le considère comme cancérigène possible, de catégorie II-R45.
Enfin, chacun sait que la proximité des maisons d’habitation par rapport aux plantations, la présence de cours d’eau dans les zones d’épandage conduisent à une violation constante des règles de précaution exigées pour toute dérogation à l’interdiction de l’épandage aérien.
Lepalima.org : Victorin LUREL semble se contredire quand on analyse sa déclaration du mercredi 10 octobre à l’Assemblée Nationale française…
Francis CAROLE : C’est très juste. Il avouait lui-même à cette occasion : « je conviens qu’il n’y a pas eu d’études ni d’expérimentations spécifiques sur le Banole ».Or l’arrêté ministériel du 31 mai 2011 précise que « les produits phytopharmaceutiques utilisés en épandage aérien doivent avoir fait l’objet d’une évaluation spécifique à cet usage ». Cette évaluation doit être réalisée par l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail).
A ce propos, le président de la région Martinique et député du centre, lors de la même séance de l’Assemblée Nationale, faussement indigné, donnait l’impression de s’en prendre à son compère LUREL :
« Je relève d’ailleurs une faute relativement grave : Nous aurions dû avoir les certifications de validation. Nous ne les avons pas eues, alors qu’il y a urgence… »
Alors pourquoi le président du conseil régional, sachant que l’absence de certifications de validation du Banole était « une faute relativement grave », a-t-il apporté, à deux reprises, son soutien appuyé à la poursuite de l’épandage de ce produit ?
En réalité, le couple Banole (LUREL-LETCHIMY) suscite perplexité et interrogation dans son acharnement à défendre la poursuite de l’épandage aérien.
Le respect du principe de précaution, dans un tel cas, aurait dû prévaloir sur l’empressement à se plier aux pressions -voire aux menaces pour certains- exercées par les représentants du lobby bananier.
Ainsi, prétendre que 10 000 emplois étaient en jeu (en réalité 4027 personnes selon le Rapport public annuel 2011 de la Cour des Comptes) relève du cynisme et d’une volonté sordide d’instrumentalisation de la misère sociale.
Lepalima.org : Comment, d’une manière générale, peut-on analyser l’attitude du président de région sur ce dossier ?
Francis CAROLE : Ce qui caractérise la position du néo-PPM et de son principal dirigeant sur ce dossier c’est l’absence d’esprit de principes.
Comme LUREL, il se prétend « opposé à l’épandage aérien » mais, en décembre 2011, il demande à son groupe de ne pas présenter un projet de motion qui s’opposait à toute dérogation à l’interdiction de cette pratique. En décembre 2011 et en juillet 2012, il soutient deux demandes de dérogations du lobby bananier…avec l’utilisation du Banole.
Pire ! Lors de la séance de nuit de l’Assemblée Nationale du mercredi 10 octobre 2012, il refuse de voter l’amendement n°14, introduit par le député écologiste François-Michel LAMBERT, en vue « d’interdire les épandages aériens en outre-mer. »
La justification politique de cette attitude est d’un surréalisme troublant :
« Nous ne voterons pas cet amendement, sachant qu’en Martinique nous avons adopté une délibération afin de bien marquer que nous ne tolérons plus ni l’épandage aérien ni l’utilisation du Banole. »
Ainsi, nous avons appris cette nuit-là que, de la seule autorité de l’héritier, les plénières du conseil régional s’étaient transmuées en séances d’un parlement martiniquais prenant des lois qui rendaient inutile tout avis du parlement français…
Mais, ce qu’il convient surtout de rappeler c’est que le « parlement » de Plateau Roy n’a, pour dire la vérité, jamais pris aucune « loi » (ou « délibération ») ne tolérant plus l’utilisation du Banole.
L’opportunisme conduit toujours au mensonge et l’inconstance révèle l’inconsistance.
Lepalima.org : Quel premier bilan tirer de la mobilisation contre l’épandage aérien ?
Francis CAROLE : La route est encore certainement longue avant la suppression définitive de toute dérogation à l’interdiction de l’épandage aérien. Le lobby bananier et ses affidés continueront leurs pressions de toutes natures pour maintenir encore le statu quo. Les manœuvres ne manqueront donc pas. Ils évoqueront sans doute les menaces du Mycosphaerella eumusa, une cercosporiose encore plus agressive que la noire et qui sévit actuellement en Asie et dans l’océan Indien.
Mais, en Guadeloupe comme en Martinique la population commence à réagir. L’action, en Martinique, de l’AMSES, de l’ASSAUPAMAR, des élus écologistes et patriotes dans les assemblées locales, ou encore de nos députés à l’Assemblée Nationale française trouve un écho extrêmement favorable dans l’opinion publique.
Les ordonnances des Tribunaux Administratifs de Basse-Terre et de Fort-de-France exigeant la suspension-même temporaire- de l’exécution des arrêtés préfectoraux autorisant l’épandage aérien crédibilisent notre discours et nos initiatives.
D’autre part, certains éléments du contexte s’avèrent favorables à la cause que nous défendons. C’est le cas du Rapport de la commission du Sénat français sur les pesticides et leur impact sanitaire, paru cette semaine. Les conclusions de cette commission soulignent que « les dangers et les risques des pesticides sont sous-évalués », « l’effet des perturbateurs endocriniens mal pris en compte » et que « les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques. »
Le Collectif contre l’Epandage Aérien et l’Empoisonnement des Martiniquais, qui est l’espace unitaire de toutes les forces opposées à la poursuite de l’épandage aérien, devra intensifier le travail d’information et de mobilisation du plus grand nombre pour mettre définitivement fin à une pratique préjudiciable à la santé de la population.
Les questions qui se posent, au-delà de l’épandage aérien, touchent aux conditions à réunir pour une agriculture propre en Martinique. Les préoccupations de santé publique et de recherche d’une souveraineté alimentaire optimale ouvrent le champ d’une réflexion qui concerne tous nos concitoyens et qui déterminera notre développement.
PALIMA Hebdo n° 26
Semaine du 22 au 28 octobre 2012