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Le racisme ne passera pas en Martinique et en Guadeloupe ? Mais...

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Le racisme ne passera pas en Martinique et en Guadeloupe ? Mais...

Steve Gadet
Le racisme ne passera pas en Martinique et en Guadeloupe ? Mais...

Le ressentiment qui existe vis à vis de la communauté béké doit être purgé non par des communiqués mais par une vraie démarche de... leur part ! Oui, je crois que la balle est dans leur camp. Ce ressentiment n'a jamais disparu depuis l'esclavage. Il a également traversé la nuit coloniale pour des raisons tangibles que tout le monde connait sans avoir fait d'études poussées sur la question.

Cette aigreur resurgit à chaque fois qu'il y a des crispations dans notre pays. Elle ressurgit à juste titre ces temps-ci à cause de l'empoisonnement de nos terres et de nos eaux au chlordécone et le désastre dans lequel il nous plonge ! D'ailleurs arrêtons de dire "la" chlordécone et continuons à dire "le". Quand ils en parlaient au temps de l'utilisation, tous les acteurs impliqués disaient "le". Maintenant qu'ils veulent reprendre la main sur la communication, ils veulent féminiser le chlordécone ? Stop ! C'est le chlordécone qui nous a empoisonné ? Les pollueurs vont payer  les dégâts DU chlordécone ! Bref. Je suis contre le fait de clouer au pilori des êtres humains, de les injurier parce qu'ils appartiennent à une communauté. Parce que nous l'avons vécu et nous le vivons encore dans presque tous les pays du monde, les afro-descendants savent ce que ça fait. Est-ce pour autant que nous ne devons pas critiquer le système socioéconomique injuste qui structure notre pays ? Non. Nos gens ne sont pas bêtes. L'alliance malsaine entre les forces gouvernementales et le lobby capitaliste béké nous a fait du tort dans notre chair, dans nos comptes en banque et dans notre capacité à sortir du sous-développement depuis trop longtemps donc c'est normal de la dénoncer voire même d'être indignés contre cette entente !

 

Lorsque l'association Tous Créoles écrit "Le racisme ne passera pas en Martinique", le premier racisme qu'elle devrait chercher à réduire, c'est celui de la communauté béké elle-même. Je parle du racisme structurel sur lequel est basé son identité. Leur entre soi, leur volonté de préserver la race blanche est un cancer dont ils ne doivent pas ignorer les effets. Le ressentiment à leur égard vient aussi de là. Penser et écrire cela n'est pas être anti-béké. Il y a une grande différence. Ce communautarisme est d'autant plus difficile à accepter quand on sait qu'il sert surtout, au delà des questions esthétiques et identitaires, à préserver un pouvoir économique. Un pouvoir économique qui atrophie notre capacité à développer une économie prospère pour une majorité, notre capacité à générer des richesses mieux partagées. Quand on rajoute à ce communautarisme leur domination économique, on tient les ingrédients d'un vivre-ensemble impossible. On ne peut pas jouir des privilèges liés à la race et à une position économique dominante acquises comme on sait sans penser que le reste des Martiniquais et des Guadeloupéens ne diront jamais rien. Certaines personnes ont intégré cette situation dans leur logiciel mais avec les jeunes générations, ça ne passe plus. On ne peut pas avoir le sucre et l'argent du sucre.

 

Néanmoins, après avoir écrit cela, je fais bien la différence entre les êtres humains qui ont tous besoin d'être traités avec dignité et bienveillance et la mentalité de caste qui anime certains békés. Comme chez les autres communautés ethniques du pays, il y a des couches différentes chez eux et une diversité d'opinion sur la question. Nous devons en tenir compte et en pas clouer au pilori les békés en général. L'association Tous Créoles, qui est le fruit d'une vision noble de la part de feu Roger de Jaham, ne peut pas appeler à la réconciliation sans passer par le moment de vérité et de réparation. Si Tous Créole est une association qui milite pour un meilleur vivre-ensemble, un vivre ensemble plus apaisé, elle devra appeler les deux parties à sortir de leur zones de confort pour mettre sur la table les sujets qui fâchent. C'est une conversation difficile que nous devons avoir parce qu'il en va de l'avenir de nos pays, celui de nos enfants à tous peu importe leur communauté ethnique et leur classe sociales. Je ne sais pas quelle forme prendra cette conversation ni combien de temps ça va durer mais elle doit avoir lieu. Dans cette dynamique, je veux faire partie de ceux et celles qui vont la faciliter sans complaisance. On en ressortira pas comme on y sera rentrés mais j'espère que le pays en sortira grandit.

 

À chaque fois que je vois des Martiniquais et des Guadeloupéens qui refusent le fatalisme et s'organisent au lieu d'agoniser, je dis Bravo ! Cela veut dire que nous sommes en vie, que nous voulons rester en vie et que nous voulons vivre mieux ! Je les appelle ceci dit rester toujours plus humain avec les êtres humains et à être implacable avec le système néocolonial. Je ne le dis pas du haut de mon bureau climatisé mais comme quelqu'un qui se fait un devoir d'être présent lors des mobilisations populaires, comme un intellectuel qui veut rester dans les tranchées de nos défis, qui veut marcher dans le pays et rester au contact de ses gens. Je le dis aussi comme quelqu'un qui est conscient d'être très ignorant sur un tas de choses et comme quelqu'un qui est conscient que personne n'est indispensable. L'un des moyens que beaucoup de peuples en lutte contre les injustices économiques ont utilisé ici et ailleurs pour faire entendre raison à ceux qui profitent de leur position et de leurs privilèges, c'est le boycott. Je dis qu'en 2019 nous devons l'utiliser aussi en Martinique et en Guadeloupe pour forcer ceux qui profitent du système à changer d'attitude et de méthodes ! Nous devons l'utiliser pour leur envoyer un signal fort, pour les forcer à s'assoir à une table, pour leur faire comprendre que le temps où ils pouvaient nous cracher à la figure et continuer leur business comme de rien n'était est terminé ! On ne le fait pas pour que les Martiniquais et les Guadeloupéens qui travaillent dans ces entreprises perdent leur travail. Non pas du tout ! Mais pour que leurs dirigeants travaillent et nous traitent autrement !

 

En cette période transition vers une autre société, nous devons tous rester vigilants pour préserver le respect, la bienveillance, la liberté de parole et la paix civile. Pas pour préserver la position socioéconomique de la communauté béké ni la position de ceux et celles qui ont fait de ces questions une raison d'être mais parce que nous bâtissons un demain avec un grand D. Nous sommes en chemin, en transition donc la méthode et les outils sont aussi importants que la destination. Hors de la lutte, il n'y aura pas de progrès !

 

Steve Gadet, activiste et écrivain.


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