Législatives à Maurice : c'est loin d'être gagné pour Pravind Jugnauth
Le Premier ministre sortant veut croire en ses chances, mais les débats passionnés autour du « piège dynastique » et du népotisme peuvent empêcher sa victoire.
Quelque 941 000 électeurs inscrits sont attendus aux urnes ce jeudi à Maurice. Les Mauriciens sont appelés à voter pour un scrutin législatif qui doit permettre au Premier ministre sortant d'obtenir la légitimité populaire lui faisant défaut. L'enjeu principal de l'élection se situe donc dans la reconduction ou non de Pravind Jugnauth, 57 ans, qui avait succédé à son père Anerood Jugnauth en 2017 en tant que chef du Mouvement socialiste mauricien (MSM), le principal parti de la coalition au pouvoir, sans passer par des élections. Sir Anerood, un cacique de la vie politique mauricienne – Premier ministre de 1982 à 1995, de 2000 à 2003, et président de la République de 2003 à 2012 –, avait décidé de passer la main deux ans avant la fin de son mandat, après avoir été élu en 2014. Cette succession avait donné lieu à des débats passionnés sur l'archipel.
L'opposition ne s'était pas privée d'en dénoncer le caractère monarchique et avait réclamé avec virulence des élections, sans les obtenir. Elle n'a pas changé d'angle d'attaque pendant la campagne actuelle. L'ancien Premier ministre Navin Ramgoolam (1995-2000 et 2005-2014) a déclaré vouloir « libérer le pays de l'emprise du clan Jugnauth ». « Le peuple mauricien aura la possibilité de barrer la route, une fois pour toutes, à la corruption, au népotisme, à la perversion de nos institutions et au détournement des fonds publics », a affirmé l'opposant, dont le père, Seewoosagur, avait lui-même été Premier ministre entre 1968 et 1982. Paul Bérenger, du Mouvement militant mauricien (MMM), a, lui, aussi dénoncé le piège dynastique de « papa-piti » (de père en fils) et jugé que le bilan du Premier ministre actuel était « parsemé de scandales de toutes sortes ». Plusieurs ministres ont été mis en cause dans des affaires ces dernières années, et la présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, choisie par la coalition au pouvoir, a dû démissionner en mars 2018 pour son implication dans un scandale financier.
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Le bilan économique pour se défendre
Pravind Jugnauth a tenté de faire oublier cet épisode et les circonstances de son arrivée au pouvoir en mettant en avant un bilan dominé par la modernisation des infrastructures publiques, avec la construction d'un métro léger, dont le premier tronçon devrait commencer à fonctionner en décembre. Il a également vanté ses mesures sociales : introduction d'un salaire minimum (environ 215 euros par mois), revalorisation de la pension vieillesse et réforme du droit du travail favorable aux employés. « J'ai fait en deux ans et demi ce que le précédent gouvernement dirigé par Navin Ramgoolam n'avait pas fait entre 2005 et 2014 », a plaidé le dirigeant, qui occupe également le poste de ministre des Finances.
L'île, indépendante depuis 1968, a connu une croissance de 3,7 % en 2018 à la faveur du dynamisme des activités de construction et de services, surtout le tourisme et le secteur bancaire, alors que la production de sucre a diminué, selon la Banque mondiale. Elle fait partie des pays les plus riches d'Afrique, avec un PIB par habitant de 10 500 dollars. Placée au 13e rang du classement Doing Business, qui mesure les environnements les plus favorables aux affaires, elle espère dans les prochaines années passer au statut de pays à revenu élevé.
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Une élection pas comme les autres
En attendant, pour la première fois depuis 1976, ces élections mettront aux prises trois blocs, et non deux : l'Alliance nationale de centre gauche de Navin Ramgoolam, blanchi dans dix des onze procès intentés contre lui ces quatre dernières années, le dernier étant encore en suspens, l'Alliance Morisien (AM, centre droit) de Pravind Jugnauth et le Mouvement militant mauricien (MMM) de Paul Bérenger, ancien Premier ministre (2003 et 2005) et ancien allié de Navin Ramgoolam en 2014. Il n'est pas exclu que personne n'obtienne la majorité absolue et qu'une alliance soit la solution après le scrutin. Quoi qu'il en soit, les électeurs doivent choisir soixante-deux députés, dont soixante dans l'île principale Maurice et deux à Rodrigues, petite île située à quelque 600 kilomètres plus à l'est. La Commission électorale nommera ensuite huit députés parmi les non-élus ayant obtenu les meilleurs scores, afin de rééquilibrer la répartition des sièges entre partis et communautés à l'Assemblée nationale.