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Ranoumé : l’extravagante vie d’une danseuse créole

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Ranoumé : l’extravagante vie d’une danseuse créole

par Nathalie Valentine Legros
Ranoumé : l’extravagante vie d’une danseuse créole

D’origine réunionnaise et élevée à Madagascar, la danseuse Ranoumé a brillé quelques années dans les nuits parisiennes. Son histoire rocambolesque commence par une « nocturne cérémonie du sacrifice »... selon la légende.

Une gloire éphémère au milieu des nuits parisiennes

Qui était donc Ranoumé [eau suave] ? Elle gardera une grande part de mystère, de ces zones d’ombre qui se cristallisent sur une silhouette et fondent une légende qu’il convient de laisser intacte.

Dans le sillage des années folles, elle est présentée sur les scènes parisiennes comme « l’authentique petite-fille » du célèbre navigateur/explorateur Jean-François de La Pérouse. Mais selon Raymond Petit [journal « Paris-midi », février 1938], les authentiques descendants de ce dernier auraient exigé qu’elle abandonne ce nom [Stella La Pérouse] et qu’elle cesse de répandre cette rumeur. Elle sera donc Ranou-Mé !

Elle se produisait dans les cabarets et music-halls, pour des cérémonies officielles, à l’Olympia à l’occasion de galas de charité, etc. Même si son nom d’artiste subit quelques distorsions dans la presse de l’époque [Ranoumé, Ranou-Mé, Ranomé, Ranu-Mé, Rano-Mé, etc.], cela n’empêche pas la danseuse de connaître une gloire éphémère au milieu des nuits parisiennes et d’être considérée comme une sorte d’ambassadrice exotique, adoptant tous les styles : malgache, réunionnais, tahitien, etc. Elle est même mentionnée dans les « Archives internationales de la danse », revue trimestrielle, juillet 1934 : « Ranou-Mé dont les chants et les danses sont tellement évocateurs ».

« Elle subit l’outrage rituel à sa jeunesse »

De « descendance réunionnaise », Ranoumé a vu le jour dans l’île Rouge, Madagascar, à Ivolina. Il n’en faut pas plus aux journalistes parisiens pour la qualifier de « charmante danseuse de l’île Rouge », « danseuse malgache Ranou-Mé », « métis fort jolie, plutôt connue à Tamatave », etc.

« Si elle est affiliée à la tribu betsimisaraka, à l’est de Madagascar, elle a du sang blanc dans les veines et offre de nombreux points de ressemblance aves les créoles de La Réunion », écrit Guy Laborde dans « Le Temps » en 1934.

« Ranoumé La Pérouse » passe son enfance dans « la brousse de la grande Île Rouge » et s’imprègne des différents rituels, notamment les danses. Une Malgache lui aurait même enseigné des « danses secrètes »...

« Créole, mais élevée par les indigènes, elle subit, au milieu de la forêt nocturne, l’outrage rituel à sa jeunesse, comme toutes les filles de l’Île Rouge, d’ailleurs, prétend Michel Georges-Michel dont le récit est rapporté par le journal « Madagascar » [industriel, commercial, agricole : 2 novembre 1931]Cette revue serait littéraire ou philosophique, je donnerais tous les détails du sacrifice, mais [là] je suis astreint à beaucoup de réserves ».

Ranoumé dansant le "Vorondolo" (danse de l’oiseau), novembre 1935. Source : revue de la Société nationale des conférences populaires.

La fuite de Ranoumé à travers « marécages, lianes et caïmans »

Georges-Michel utilise un procédé consistant principalement à émoustiller les spectateurs parisiens, avides d’exotisme/érotisme, et tant pis pour la crédibilité du récit si l’on détecte ça et là une propension à l’exagération.

Il poursuit : « Sa nourrice, Tamatoa Razana, lui enseigna les plus secrètes danses de l’île, celles que les indigènes se refusent à danser devant (...) les Blancs ».

Spectateurs parisiens, vous allez voir ce que vous allez voir : une danse rituelle qu’aucun blanc n’a jamais vue...

Toujours est-il qu’après la « nocturne cérémonie du sacrifice », Ranoumé, n’osant reparaître devant ses parents, s’enfuit sur une pirogue et descend le canal des Pangalanes à travers « les marécages, les lianes et les caïmans ».

Tamatave, port de batelage, 1932. Anom.

Reçue « en grande pompe » par la « princesse » Aïcha

Douze jours plus tard, notre « aventurière » atteint enfin le port de Tamatave après moult péripéties et parvient à embarquer sur un paquebot des Messageries Maritimes en partance pour Marseille, se cachant pendant toute la traversée dans la cabine d’un officier « généreux »...

A Marseille, Ranoumé rencontre le sculpteur Félix Benneteau-Desgrois qui l’amène jusqu’à Paris.

Elle est reçue « en grande pompe » à Montparnasse, par la « princesse » Aïcha Goblet, mannequin, danseuse, artiste de music-hall et modèle pour de grands artistes : [notamment] le photographe Man Ray, les peintres Félix Valloton et Amedeo Modigliani, etc.

La "princesse" Aïcha Goblet, de Montparnasse, en 1922. A gauche, photographiée par Man Ray / A droite, peinte par Félix Vallotton.

« Entrailles de chat crevé ! »

« De là au “Bal nègre” de la rue Blomet, il n’y avait que deux tickets de tramway, écrit Michel Georges-Michel. (...) Après cela, ce fut la grande vie parisienne, les scandales de cabinets particuliers où la jeune danseuse n’acceptant pas aussi facilement les hommages d’un banquier qu’elle s’était soumise aux rites du sorcier malgache, casse les verres, les bouteilles, les carreaux et saute, la robe déchirée, dans la rue en criant « Alika mata ! », ce qui voulait dire : “entrailles de chat crevé” ».

Selon Georges-Michel, Ranoumé avait pour ambition de se faire une place et un nom entre Mistinguette et la « divine Joséphine » [1].

A défaut d’y être parvenue, elle sera une étoile filante au firmament de Montparnasse et obtiendra quelques critiques flatteuses dans la « presse spécialisée ».

Orchestre au "Bal nègre" de la rue Blomet, Paris, 1932. Par Brassaï (1899–1984).

« La séga-maloya de l’île Bourbon »

Ainsi peut-on lire un véritable panégyrique dans la revue « Les nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques », du 30 juin 1934, sous la plume de Ch. K. [et tant pis pour l’histoire et la géographie]. Extraits...

« Elle dansa (...) des danses populaires de l’océan Indien, la oupa-oupa de Tahiti, la séga-maloya de l’île Bourbon, vorondolo de la tribu Bestimisaraka ainsi qu’une danse guerrière de la tribu Tanala. (...) Dans tous les mouvements ondoyants de son corps, dans ses piétinements accompagnés de battements de mains, dans ses trépignements cadencés, elle déployait une grâce si émouvante, une science si subtile et si sûre qu’elle émerveillait les spectateurs. (...) Les danses de Ranoumé prenaient la valeur de véritables poèmes religieux ou populaires ».

Les journalistes sont sous le charme : « Guerrière armée de la lance et des ornements d’une tribu, son corps s’anime sous la cotonnade et, surtout, la voici dans ses pas les plus typiques, la séga maloya, danse populaire de l’île Bourbon », écrit Guy Laborde.

« Rien de plus savoureux que les danses indigènes surtout quand elles sont vraiment authentiques. Elle fit merveille dans la danse guerrière de la tribu Tanala, dans la séga-maloya, danse populaire de l’île Bourbon... », déclarait pour sa part le journaliste André Franck suite au spectacle donné par Ranou-Mé à la société de géographie en 1934.

Les trois danseuses : Alexiane, Ranomé, Kaïssarova. Oeuvre d’Armand Vallée (1884/1960), célèbre illustrateur des années 30, notamment pour sa collection "La vie parisienne".

« Ranoumé n’est pas une négresse »

Ranoumé, la « brune idole couronnée de fleurs » [2], soigne sa communication et a ses admirateurs. Parmi eux, se démarque un autre « plumitif » qui sévit, avec l’emphase colonialiste qu’il sied d’user à l’époque, dans le journal « Le Temps »...

« Où sont les bobres madécasses ? Il n’y en a point, mais des chœurs et un tam-tam. Ranoumé n’est pas une négresse. Si elle est affiliée à la tribu Bestimisaraka, (...) elle a du sang bleu dans les veines et offre de nombreux points de ressemblance avec les Créoles de La Réunion. De taille moyenne, le visage mobile, les hanches mouvantes, elle montre (...) ce que la géographie doit à la danse. (...) Guerrière armée de la lance (...), son corps s’anime et la voici dans ses pas les plus typiques : la “séga maloya” de l’île Bourbon. (...) Une main retrousse la jupe, l’autre tient un éventail ».

Afin d’exploiter le filon de l’exotisme et de « l’art colonial » [sic], Ranou-Mé, alias Stella La Pérouse, crée une compagnie intitulée le « Théâtre des Tropiques ». « Cette tentative personnelle, sans appui d’aucune sorte, a pour ambition, avec des ressources encore limitées, de présenter une nouvelle formule de l’art colonial dans une succession très rapide de tableaux très différents qui font accomplir au spectateur un voyage aux "isles" », affirme André David dans l’hebdomadaire « Marianne » [avril 1938]. Tahiti, Madagascar, Cameroun, Antilles, Guyane et La Réunion qui offre, « par son quadrille Bourbon et la séga-maloya tout le charme créole marqué de la profonde influence de la France du 18ème siècle »...

« La sauvage de l’Île rouge, apprivoisée par un “civilisé” »

La légende de Ranoumé s’est estompée avec le temps... jusqu’à l’oubli [3]. Que lui est-il arrivé pendant la Deuxième Guerre mondiale ? A-t-elle adopté l’attitude courageuse de la « divine Joséphine » ? Qu’est-elle devenue à la libération ?

Si l’on en croit l’un de ses adorateurs, elle rencontra un « civilisé » [sic] qui sut « apprivoiser la sauvage de l’Île rouge » et avec lequel elle vécut « dans des chemises du couturier Ahetze ».

7 Lames la Mer

 

 

Post-scriptum: 
Ranoumé... alias "Stella La Pérouse" ? "Le monde colonial illustré", 1934. Article publié 17/03/2018

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