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Langue maternelle: «Le ‘kreol ghetto’ a ce besoin constant de se réinventer»

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Langue maternelle: «Le ‘kreol ghetto’ a ce besoin constant de se réinventer»

Langue maternelle: «Le ‘kreol ghetto’ a ce besoin constant de se réinventer»

Des traditions, des mœurs, un patrimoine et des modes de vie uniques sont englobés dans une langue maternelle. Autant de richesses inestimables…  En ce 21 février, nous célébrons la Journée internationale de la langue maternelle. Une Journée décrétée par l’Unesco il y a 20 ans.  Nous avons sollicité le Dr Yannick Bosquet-Ballah, Senior lecturer in Language Studiesà l’université de Maurice, pour avoir un éclairage sur la transformation de l’argot, son évolution et son intégration dans la langue créole. Explications…

1. Quel est votre constat sur l’évolution de la langue créole, compte tenu de l’ampleur de l’argot notamment auprès des jeunes.

Le créole est une langue qui se porte bien ! Son évolution, tant sur le plan de sa standardisation et de sa formalisation, que sur celui de la dynamique de son argot est une jolie preuve de sa vitalité. L’argot, ou le langage de la rue, ou le «kreol ghetto» comme certains l’appellent, est, en effet, très populaire chez les jeunes. C’est tout à fait normal, car ces derniers ont un désir de se démarquer de leurs parents et aussi de leur façon de parler. L’évolution d’une langue implique une standardisation, l’identification de normes, la création d’un dictionnaire, d’une grammaire et son enseignement et qu’elle évolue, en même temps «dans la rue». Cela requiert une dose de liberté, de créativité et des néologismes.

 2. L’argot est, semble-t-il, de plus en plus utilisé que ce soit dans les chansons, ou dans différentes couches de la société mauricienne. 

La liaison entre une chanson et l’introduction de nouvelles expressions dans une langue est fondamentale. Le groupe OSB en est une bonne preuve. Plusieurs expressions telles que «bonnto, siloy, royos» ou encore tout le langage codé à travers les chiffres «24, 35, 40» sont, à la base, des termes qui appartiennent à cet argot et qui sont devenus populaires grâce à des textes de chansons.

La particularité des expressions qu’utilisent les chanteurs est qu’elles sont souvent uniques et authentiques. Par ailleurs, les jeunes reproduisent les expressions qu’ils ont entendues dans les paroles des artistes qu’ils admirent. La répétition des termes comme «lafaya» dans d’autres chansons les rendent encore plus populaires. C’est aussi intéressant de voir que depuis que le  mot «siloy» est devenu très répandu, l’argot l’a remplacé par son équivalent en verlan «loysiay» ou encore «siloe». Le «kreol ghetto» a ce besoin constant de se réinventer à cause de sa fonction.

3. Plusieurs personnes militent pour que la langue créole soit reconnue comme une langue officielle. Est-il temps selon vous ?

Oui, bien sûr ! Un Mauricien devrait avoir le droit de communiquer avec l’administration de son pays dans sa langue. Un Mauricien devrait avoir le droit à l’information, à l’éducation, à la justice, au contenu parlementaire dans sa langue.

Bien que l’on utilise plusieurs langues à Maurice, installer le créole dans une fonction officielle ne veut pas dire exclure l’anglais et le français. Le créole est une langue qui a environ trois siècles et il n’a jamais été une menace pour l’anglais et le français. Sa reconnaissance officielle ne sera que la reconnaissance de sa juste place dans notre société, c’est-à-dire une langue qui est le ciment de notre identité mauricienne, une langue qui se vit en partage avec l’anglais et le français ; une langue qui est parlée et comprise par la totalité de la population mauricienne.

Il y a eu une progression par rapport à la promulgation du créole comme langue nationale lors du lancement officiel de l’Akademi Kreol Repiblik Moris en octobre 2019. Les choses sont déjà en marche.

 4. L’introduction du créole au Parlement, dans les cours de justice et à l’école, serait donc une bonne idée…

Ce serait plus qu’une bonne idée. Ce serait légitime car cela équivaudrait à ne plus priver les citoyens mauriciens de leurs pleins droits face aux institutions. A nouveau, introduire le créole au Parlement ne voudrait pas dire exclure l’anglais ou le français, mais donner au créole sa juste place. Quand nous assumerons pleinement notre langue qui est une création de tous les Mauriciens, alors nous aurons franchi un grand pas en tant que nation.

 

Le «kreol ghetto» au quotidien

«Hmm feu», «mari top», «la flam»… Les expressions du «kreol ghetto» n’ont aucun secret pour Priyanka, 14 ans. C’est le langage qu’elle parle et, surtout, qu’elle partage avec ses amis et des jeunes de son âge, explique-t-elle. En revanche, «avec mes parents à la maison, je parle un créole qui ne contient pas ces expressions», dit-elle.
Contrairement à Priyanka, les trois enfants de Sylvie, une mère de famille d’une quarantaine d’années, n’ont aucun scrupule à s’exprimer ainsi devant elle. Ce qui a fini par pousser Sylvie a se mettre «dan life» afin de se rapprocher d’eux. Elle explique qu’elle veut s’intégrer au monde des jeunes pour mieux communiquer avec eux. «J’avais des difficultés à maîtriser ce langage mais avec le temps, et avec l’aide de mes trois enfants, c’est plus facile de se fondre dans le moule. D’ailleurs, pour être à la même page qu’eux, je suis devenue une pro dans le langage ghetto !» lance-t-elle avec fierté.
Si certains ont assimilé l’argot, ce n’est pas le cas pour d’autres. A l’instar de Maya, une jeune de 27 ans. Elle indique qu’avec son entourage, elle s’exprime essentiellement en français. «Cela ne veut pas du tout dire que je suis coincée. J’ai récemment appris des termes tels que ‘Bossing 2.0’ qui signifie ‘bann foss patron’, ‘zafer-la terne’ qui explique la beauté d’une chose ou encore ‘lartik’, qui n’est autre que le mot femme !»

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