Séga inédit : Trois jours, trois nuits avec Célimène
« Petit » miracle ! La partition d’une chanson « inconnue » — oubliée — de Célimène (1807-1864) nous « tombe » entre les mains : « Trois jours, trois nuits », (ou les amours de Guistine), chansonnette créole, paroles de Célimène. Fidèle à sa réputation, Célimène nous offre, par de-là les siècles, un texte... pimenté !
La « belle panthère noire »
Certains la nommaient la « muse noire », la « muse de Trois Bassins » ou la « muse créole ». Muse, elle l’était et aussi rimailleuse sans complaisance, chanteuse sans complexe, musicienne sans contraintes. Libre ! Son aura influence encore les artistes de ce 21ème siècle [Jim Fortuné, Daniel Vabois, Ziskakan, etc.]. En 1934, le journaliste Danyl-Helm, n’hésitait pas à la qualifier de « belle panthère noire ».
Fille d’une esclave, elle aimait à rappeler son lien de parenté — par le biais de sa grand-mère esclave malgache — avec le poète Evariste de Parny [1]. Elle a 4 ans lorsqu’elle est affranchie en même temps que sa mère, le 14 novembre 1811.
Célimène est connue pour avoir tenu « cours littéraire au comptoir de son cabaret-boutique » — « aubergiste cantinière » —, s’accompagnant d’une guitare et rimant « à tort et à travers » [2].
- Danyl-Helm qualifait Célimène de « belle panthère noire »... ("Panthère noire", par Merab Abramishvili).
Imbéciles, passez votre chemin
« Hôtel des hommes d’esprit, les imbéciles doivent passer sans s’y arrêter » était la devise de son modeste établissement — qui servait également de relais postal. Mulâtresse. De sang mêlé dans une société esclavagiste, elle rétorquait aux grincheux et aux aigris, avec sa légendaire impertinence : « J’ai un mari de race blanche » [3].
L’insolence était son credo et la postérité a retenu d’elle quelques rares textes où elle manie avec esprit paroles licencieuses, sarcasmes et éreintements [4] mais aussi de la poésie : « Dans mes plus grands fonds de douleurs / Les mains de toutes les couleurs / Sont venu[e]s essuyer mes pleurs »... Son style d’écriture débridé, acéré et mordant — rebelle — ferait aujourd’hui de Célimène une vraie rappeuse.
« A Bourbon, la mulâtresse Célimène, qui tenait une sorte de cabaret fort bien fréquenté, régalait ses clients de chansons de sa composition, avec accompagnement de guitare, écrit Armand Corré [1841-1908] en 1890 [5]. Elle a rimé son portrait : le français et la prosodie sont en faute mais l’entrain le fait oublier ».
- Célimène Gaudieux. Variation d’après la lithographie d’Antoine Roussin.
« Ces grands yeux en amande, sa bouche sensuelle... »
Célimène meurt à 57 ans le 13 juillet 1864, léguant au Dr Jean Milhet Fontarabie un véritable trésor : son précieux « cahier de chansons »... Ironie de l’histoire, ce célèbre cahier est porté disparu — jusqu’à preuve du contraire.
Et il ne nous reste en héritage de la « belle panthère noire » que trois ou quatre chansons [ou textes], deux lithographies d’Antoine Roussin et sa guitare conservée au musée de Villèle.
Voilà donc une chanson de plus, un séga : « Trois jours, trois nuits » avec la muse noire, « ses grands yeux en amande, sa bouche sensuelle, son port de tête royal » telle que l’a décrite le poète Jean Albany.
7 Lames la Mer
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- Séga "Trois jours, trois nuit" (ou les amours de Guistine). Chansonnette créole.
Paroles de Célimène (muse de Trois Bassins).
- (Fici : fichu)
[1] Les travaux de Robert Merlo ont mis en lumière l’ascendance de Célimène. Le poète Evariste de Parny eut une liaison avec une jeune fille, Léda, esclave d’ascendance malgache née à Saint-Paul, qui travaillait chez son père, Paul de Forges-Parny.
De cette liaison naquit une fille, Valère, qui épousa, à l’âge de 14 ans, Auguste, esclave affranchi. Valère et Auguste eurent trois enfants, dont Marie-Thérèse Candide, mère de Célimène.
Marie-Thérèse Candide était employée chez Louis-Edmond Jean [variantes Jans, Jeance ou Gence] qui en fit sa concubine. De cette relation naquirent deux filles : Marie-Monique, dite « Célimène » et Marie-Céline [ou Marie Céliste]. Célimène, fille de Marie-Thérèse Candide, petite-fille de Valère, et arrière-petite-fille de Léda, était ainsi l’arrière-petite-fille du poète.
[2] Je suis cette vieille Célimène,
Très laide, mais non pas vilaine.
Je suis une pauvre créole,
Qui n’a pu aller à l’école,
Légère en conversation,
Mais pas du tout en action ;
J’ai la tête remplie de vers,
Que je fais à tort et à travers.
Trop froissée, je satirise
L’impoli qui me ridiculise.
Et jamais je [ne] me déguise.
Je fais connaître le ridicule,
Aux bigots je fais sauter la bascule,
Il faut que celui qui avance recule,
Reste honteux, gobe la pilule.
Je respecte les vrais dévots,
Mais je crains beaucoup les bigots.
Avec les fous je fais la folle,
Avec les sots, je fais la sotte ;
Et jamais ne perds la boussole ;
Pour éviter les avari[e]s,
Les grandes, les gros et les petits,
Blancs, noirs ou gris sont mes amis.
J’admire l’aristocratie,
J’aime et plains la démocratie,
Car j’appartiens à la dernière,
Mais je respecte la première,
Car ma vie n’a pas été que fleurs ;
Dans mes plus grands fonds de douleurs,
Les mains de toutes les couleurs
Sont venu[e]s essuyer mes pleurs.
[3] La citation complète est : « Je suis une mulâtresse, c’est vrai, mais mon mari est de race blanche, et il est de règle que le cheval anoblit la jument » [« Le tour du monde », Louis Simonin, ingénieur des mines, géologue, voyageur et journaliste, 1861]. A 32 ans, Célimène épouse un ex-gendarme originaire de la Dordogne, Pierre Gaudieux, le 3 octobre 1839 à Saint-Paul. Ils ont cinq enfants. Pierre Gaudieux meurt en 1852.
[4] Missié L. et blanc malhonnête
Na na figure comme bébête
Na na le quer comme galet
Na na la langue comme zandouillette
Na na li dents comme foursettes
Na na tas de contes comme gazette
Toujours il est dans la guinguette
En goguette... et en goguette. [Extrait].
[5] « Nos créoles ».