Derrière l’hypocrisie : les intérêts de classe
CNCP
Après l’action menée par un groupe de militants contre un car de touristes, les bien-pensants sont montés au créneau : « Actes illicites » ! « Dérives inacceptables » ! « Que les Pouvoirs Publics organisent la protection permanente de l’aéroport et du grand port maritime » ! Mais au-delà de l’hallali, quels sont les véritables enjeux ?
Contact Entreprises, MEDEF Martinique, AMPI, Réseau Entreprendre Martinique, Chambre de Métiers et de l’Artisanat Martinique, CPME Martinique, Banamart, FTPE Martinique SEBTPAM, Union des Entreprises de Proximité Martinique, tous se sont mobilisés face à l’incroyable menace de déflagration que cet incident ferait, selon eux, peser sur « notre économie », sur l’attractivité de « notre destination touristique ». Toutes ces organisations socioprofessionnelles « appellent à ce que l’ensemble des Martiniquaises et des Martiniquais s’unissent et travaillent à construire une Martinique fière de ses atouts et forte de ses différences »*. « Non à la haine ! Oui à la construction commune ! » Voici leur mot d’ordre !
Construction commune ? Vraiment ?
Comme si ces messieurs et dames « socioprofessionnels » ne savaient pas que profits et richesses sont concentrés entre les mains de leur minorité, que leurs banques, leurs assurances, leurs agences de téléphonie, leurs hypermarchés pillent notre peuple. Comme s’ils ne savaient pas que les emplois précaires et sous-payés, les retraites de misère et les politiques de saccage social du régime Macron, qu’eux TOUS soutiennent, continueront à générer de la haine. Eh bien non ! Ne comptez pas sur nous pour une « construction commune » de cette nature.
Que nous soyons « fiers de nos atouts et de nos différences » ? Vraiment ?
Vous parlez des atouts financiers de la caste, de ses relations avec l’Elysée, des différences de traitement que pratiquent les banques entre ses entreprises et celles de nos artisans (comme l’illustre le cas emblématique de Jet Aviation Service) ? Eh bien non ! Nous n’en serons jamais fiers !
En réalité, derrière la énième tentative de diabolisation de ceux qu’ils qualifient dédaigneusement de « poignée d’activistes », cette mobilisation des bénéficiaires du système vise à contrer la montée en puissance des contestations sociales, de plus en plus conscientes, qui menacent leurs intérêts. Sous l’égide silencieuse de Bernard HAYOT, les forces de « l’ordre » sont dépêchées pour veiller sur les centres commerciaux. Maintenant, il faut cadenasser le port et l’aéroport. Il faut faire taire tous ces fauteurs de trouble coupables des « Insultes verbales, agressions physiques de voyageurs, détérioration d’autobus, entrave à la liberté de circulation… »
Pour faire bonne mesure, nos bonnes consciences « s’étonnent du peu de réaction des élus et des pouvoirs publics. En aucun cas, la préparation d’une campagne électorale, disent-ils, ne doit rendre muets des hommes et des femmes dont la vocation est justement de servir l’intérêt général et de gérer les affaires de la cité ». On peut s’étonner avec eux. Signalons que, malgré tout, quelques politiciens, certainement soucieux de se donner un vernis de «respectabilité » et de récolter quelques voix pour les élections en cours, ont dénoncé « des actes injustifiables contre un car de touriste ». Mais retournons à l’étonnement de nos « sociaux-professionnels » : Comment se fait-il que pas un seul d’entre eux n’a dénoncé le violent empoisonnement dont des milliers d’ouvriers agricoles ont été victimes ? Dans quel communiqué ont-ils vilipendé la « poignée d’activistes » qui a commis ces « actes illicites » et ces « dérives inacceptables » ? Quand ont-ils demandé aux élus d’intervenir sur ce terrain là ? Quand cette lacune sera comblée, on verra autre chose que de l’hypocrisie dans leurs déclarations !
En tout cas, quand la réalité les sortira de leur déni, ils comprendront que ce sont les souffrances accumulées, le constat des injustices subies et de la politique de « deux poids deux mesures», l’exaspération qui conduisent aux « débordements » dont ils se plaignent. Ils comprendront aussi que la « poignée d’activistes » n’est qu’un avant-goût du tsunami social qui se prépare contre le système.
En ce qui concerne l’action menée à l’aéroport contre les risques de propagation du coronavirus– non pas, comme les « socioprofessionnels » savent pertinemment, contre les touristes – elle s’explique par une absence totale de confiance dans les déclarations des « autorités ». Cette défiance est amplement justifiée par le fait que celles-ci sont coutumières de décisions criminelles et de mensonges. Les militants ont fait prévaloir la santé de toute notre population sur la liberté de loisirs de quelques dizaines de personnes, dans un contexte où le danger était largement avéré et dans lequel les mesures prises par d’autres pays indiquaient la voie à suivre.
Au bout du compte, le communiqué des « socioprofessionnels » visait à détourner l’attention de la véritable confrontation qui s’annonce entre, d’une part, ceux qui défendent le système néocolonial et inégalitaire dans lequel nous vivons actuellement et, d’autre part, ceux qui aspirent à la protection et à l’émancipation de notre peuple. Notre préoccupation est, quant à nous, que chacun prenne conscience de l’enjeu, de la force et de la perversité de l’ennemi pour organiser la riposte au niveau que la situation exige. Aujourd’hui, trêve d’hypocrisie ! Que chacun choisisse son camp : collaboration ou résistance ?
* Communiqué des socioprofessionnels martiniquais du 02 mars 2020