ELISABETH LANDI (PPM) : "QU'ON LE VEUILLE OU NON, TOUS LES MARTINIQUAIS NE SONT PAS 100% AFRICAN-AMERICAN !"
La destruction des statues de Victor SCHOELCHER par des activistes le 22 mai dernier n'en finit pas de faire couler des tonnes d'encre, cela de tous bords politiques.
C'est ainsi qu'Elisabeth LANDI, membre du PPM (Parti Progressiste Martiniquais) publie le texte que l'on peut lire ci-après dans le journal du parti, "LE PROGRESSISTE", lequel n'existe plus sous forme-papier depuis au moins deux ans, mais sur le Net, sur Calameo plus exactement. Cela doit sûrement en faciliter la lecture à Trénelle et à Texaco.
Voici donc ce texte qui est beaucoup plus nuancé et plus sérieux que les déclarations indignées des LETCHIMY, HAJJAR, CONCONNE (ex-PPM depuis peu), ANTISTE et consorts...
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Un groupe dit de jeunes activistes ont détruit violemment les deux statues de Victor Schœlcher en se filmant et en lançant des injures à la manière des activistes de notre temps, prenant de surprise les édiles et les citoyens en pleine pandémie de Covid. Aucun débat, aucune saisie officielle (sauf erreur de ma part) du conseil municipal, aucune délibération, aucun référendum d’initiative citoyenne, bref aucune démarche démocratique n’a été entreprise. Des menaces par vidéos et posts interposées qui annonçaient des passages à l’acte signe d’une conception unilatérale et dictatoriale de la vie citoyenne.
Les commémorations n’avaient pas pu se dérouler avec la même magnificence que les autres années à cause des mesures barrière impossible à faire respecter dans le contexte d’une grande manifestation symbolique. Une manifestation symbolique avait eu lieu le 21, la veille, sur la Savane, avec 22 tambours et un dépôt de gerbes le 22 au matin devant la statue de KhoKho René-Corail à Trénelle. Ni le Rond-point du Vietnam héroïque, ni la place de Trénelle n’avaient fait résonner les tambours. Le numérique a pris la place pour des commémorations en live et en visioconférence.
Quels sont les arguments avancés par les « jeunes activistes »? Premièrement que Victor Schœlcher serait un raciste et un imposteur et deuxièmement qu’il aurait fait en sorte que les planteurs soient indemnisés et pas les esclaves.
Est-ce vraiment un problème d’histoire, de vérité historique ? Est-ce un problème d’ignorance de l’histoire ? Je ne le crois pas. Je ne ferai pas l’injure de croire que les politiques et les avocats qui soutiennent ces revendications soient des ignorants ou qu’ils croient que Victor Schœlcher soit un
imposteur, un esclavagiste raciste et pro-colons. Je ne crois pas que les « jeunes » en question soient capables de tels contre-sens historiques et de tels amalgames.
Le problème est ailleurs.
Depuis plus de 20 ans, Victor Schœlcher n’était plus cité dans les commémorations de l’abolition de l’esclavage sauf par les pro-Bissette qui en faisaient polémique. La question du rôle central des esclaves dans le processus abolitionniste a été acté par les historiens, les politiques et la date du 22 mai fait consensus chez les citoyens martiniquais. La statue de Victor Schœlcher avait déjà perdu sa main gauche et n’avait pas été réparée par l’édilité. On ne le voyait plus. Le marbre était sale et il demeurait comme un pauvre perchoir à pigeons. Bref, il fait partie des ruines de nos consciences commeunvieuxcamaradeàquil’onnepensait pas sauf quand l’on traversait la Place Légitime- Défense, dénommée (mais jamais inaugurée) selon la volonté d’Aimé Césaire en hommage à René Ménil.
Beaucoup a été écrit, pour condamner, à juste titre, le vandalisme, la méthode, la violence, la volonté de raturage de l’histoire de notre peuple. Beaucoup a été dit aussi pour comprendre le geste de ces « jeunes » révoltés, la nécessité de rétablir un équilibre dans l’espace public, pour comparer avec ce qui s’est passé en Afrique, aux États-Unis, dans les démocraties populaires lors de la chute du Mur de Berlin. Beaucoup aussi a été expliqué sur le contexte historique, sur la nécessité de replacer dans le contexte de l’époque les hésitations de Schœlcher, dans le contexte des textes les phrases extraites d’une démonstration pour en faire des maximes de vérité.
Ceux qui revendiquent leur exploit sont aussi dans une nouvelle mouvance qui est apparue depuis quelques années, celle du nouveau panafricanisme version Kémi Seba. Rien à voir avec le courant de la négritude humaniste et ouverte d’Aimé Césaire ni la version de Cheik Anta Diop, opposée au noirisme et au communautarisme.
Aujourd’hui, les tenants du panafricanisme veulent définir une nouvelle idéologie de l’identité martiniquaise sur le modèle de l’ethnicité. Définir son identité par son ethnie, par sa race, par la biologie. C’est-à-dire, utiliser les mêmes référents de la domination, de la suprématie raciale que les colonisateurs. On remplace blanc par noir et le tour est joué. Or, depuis de nombreux travaux, nous savons que la race a été inventée par la colonisation pour justifier celle-ci. Les totalitarismes, en particulier le nazisme, l’ont utilisé pour justifier la Solution finale.
Donc après, l’assimilation aux valeurs culturelles occidentales pour démontrer que l’on pouvait devenir des Français à part entière, après le mouvement de la négritude césairienne qui proposait une utopie refondatrice pour reconnaître la part africaine de l’identité martiniquaise, après le mouvement de la créolité qui insistait sur les multiples racines du ryzhome, d’une identité toujours en mouvement voici l’identité par l’ethnie. Les Martiniquais sont des afro-descendants comme les Noirs américains sont aujourd’hui des African- American. Sauf que notre histoire martiniquaise, même s’il y a des points communs, n’est pas celle des USA, ni celle des pays africains, ni même celle de la Guadeloupe ou de la Guyane. Et que dès le début de la colonisation, il y a eu des liaisons entre Blancs et noirs, forcées ou pas et qu’une nouvelle catégorie est apparue, celle que l’on a appelé « les Hommes (ou les Femmes) libres de couleur » (quelque soit leur couleur). Pour maintenir la
domination et les hiérarchies, la colonisation a dû inventer la race et donc le racisme.
Aujourd’hui, qu’on veuille ou non, tous les Martiniquais ne sont pas 100% African American.
Un modèle importé ne sera jamais la solution. Nous devons inventer notre propre modèle.
Et ce qui se joue ici c’est le leadership identitaire, culture et intellectuel post-Césaire.
Que faire alors ?
Les écouter, discuter avec eux, OUI. Prendre en compte les véritables problèmes de l’eau, de l’empoisonement des terres par la chlordécone, réduire le taux de chômage notamment des jeunes, par des politiques soucieuses de l’intérêt général, OUI. Donner de l’espoir, OUI. Combattre les inégalités criantes et les discriminations choquantes OUI. Dénoncer les doucineurs, OUI. Avoir des politiques publiques au plus près des besoins des citoyens, OUI. Allez plus vite, OUI. Mais cela ne veut pas dire imposer avec violence sa vérité sans dialogue par WhatsApp, Thread sur Twitter, Instagram, vidéos, sans débat démocratique. Il y a des instances pour cela. Elles fonctionnent et plutôt pas mal à Fort-de-France pour ce que j’en sais.
L’autoritarisme, la violence, la provocation traduisent un malaise, un mal être mais aussi et sûrement un manque de volonté de dialogue. La position de victime ne convainc pas et la « révolution » sur la place Légitime-Défense n’est pas la prise de la caserne de Moncada. Les menaces et les modèles totalitaires ne durent qu’un temps et eux aussi se font déchouquer.
Seul le consensus démocratique permet au peuple d’avancer uni et en confiance. C’est ce que la grande majorité des Martiniquais espèrent. Celui qui saura parler à l’oreille des Martiniquais et leur proposer une vision commune et partagée de l’avenir sera le prochain leader.
Il me semble que c’est ce que réclament les jeunes de ce pays pour construire l’avenir.
Elisabeth LANDI (25 Mai 2020)+