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Carl Brouard

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Carl Brouard

Carl Brouard

Il existe en poésie haïtienne un auteur surprenant : Carl Brouard (1902-1965).  Il se détourna du milieu huppé port-au-princien dont il était issu pour une vie d’errance marquée par la déchéance, l’alcool.

Dans la boue

Dany Laferrière écrit à son propos : « Je l’ai vu pour la première fois du côté de la place Saint-Alexandre, en allant à la messe avec ma mère. Recroquevillé sur des morceaux de carton, les fesses à l’air. Quand nous sommes arrivés à sa hauteur, ma mère, sans lui jeter un seul regard, me siffla : « C’est un poète ». Voulait-elle me mettre en garde contre un danger que je n’arrivais pas à comprendre ? C’était raté. Fasciné, je retournai souvent le voir, le trouvant toujours en train de marmonner de mystérieuses imprécations. Plus tard, au secondaire, je le découvris, sous un autre jour, dans mon manuel de littérature haïtienne : veste, cravate, regard vif et sourire mondain de fils de la grande bourgeoisie. Il avait décidé de quitter sa riche demeure des beaux quartiers pour venir vivre, parmi le peuple, dans la boue de la place Saint-Alexandre. Sa poésie si légère m’a tout de suite plu. Contrairement à ses contemporains, si pesants avec leurs rêves chimériques de changer le sort du peuple, Carl Brouard ne parlait que pour lui-même. Et c’est pour cela qu’il m’a été si facile de me retrouver en lui. »

Mysticisme

La descente chaotique de Brouard vers la clochardisation, quête éperdue du malheur populaire, fut émaillée de poèmes, d’articles, d’engagements, de passions (« Je garderai toujours la nostalgie de ce soir de pluie où tu fus tellement vicieuse »). De contradictions aussi. Ainsi, en 1928, il estima qu’« Après tout, le vaudou est notre seule originalité, c’est le gage certain d’une architecture, d’'une littérature, d’un mysticisme national ». Mais vers la fin de sa vie, ce vaudouisant fervent renia ses convictions et, devenu mystique catholique (« seigneur : entrez dans mon cœur comme un coup de couteau »), assura que « Le Vaudou n’est point une religion car il n’a inspiré ni prophète ni livre. C’est une secte inspirée par de bas démons ».

En 1963, deux ans avant sa mort « ivre, seul, en pleine rue », François Duvalier, miroir inversé qu’il impressionnait, finança une compilation de ses œuvres : « Pages retrouvées », sous la direction de l’historien Roger Gaillard.

On peut la consulter au lien ci-après :

https://ufdcimages.uflib.ufl.edu/UF/00/09/53/11/00001/Pagesretrouv.pdf

A paru plus récemment, un autre recueil d’écrits de Carl Brouard : « Anthologie secrète », Mémoire d’encrier, Montréal, 2004.

Poème de Brouard : Vous

Vous,
Les gueux,
les immondes,
les puants :
paysannes qui descendez de nos mornes avec un
gosse dans le ventre,
paysans calleux aux pieds sillonnés de vermines,
putains,
infirmes qui traînez vos puanteurs lourdes de mouches.
Vous
tous de la plèbe,
debout !
pour le grand coup de balai.
Vous êtes les piliers de l’édifice :
ôtez-vous
et tout s’écroule, châteaux de cartes.
Alors, alors,
vous comprendrez que vous êtes une grande vague
qui s’ignore.
Oh! vague,
assemblez-vous,
bouillonnez,
mugissez,
et que sous votre linceul d’écumes,
il ne subsiste plus rien,
rien
que du bien propre
du bien lavé,
du blanchi jusqu’aux os.


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