Réflexion d'Yves-Marie SERALINE sur le carnaval
Le carnaval martiniquais est à une croisée des chemins, en cette année de demi-teinte ou de transition selon le point de vue adopté, mais forcément à cause des conséquences des mesures sanitaires dues à la pandémie de la Covid19. C’est peut-être aussi l’occasion pour ce secteur de se remettre en question et d’entamer une autre marche pour le futur.
Cette composante du patrimoine, fondamentale pour la majorité de la population rythme chaque année la vie des martiniquais sur l’ensemble de l’île, et plus largement des caribéens. Emanant de notre identité profonde et séculaire, exutoire, démonstration d’un moment d’expression collective élaboré ou informel, ce temps fort est néanmoins toujours préparé par la population, même si c’est notoirement insuffisant. Le carnaval c’est aucun doute une parenthèse qui permet de prendre les rues d’assaut, mais aussi une ambiance par petites touches éparpillées dans notre espace, décorations, ambiances familiales ou commerciales des soirées.
L’histoire de notre carnaval est facile à reconstituer, car tout est dans les archives anciennes et récentes. On peut y avoir la progression des idées et l’apparition des compétences et des opinions formées en la matière d‘une génération à l’autre. Mais l’analyse objective fait pour l’instant toujours défaut en dépit des réalités observées, car la mémoire est fragile et obscurcie à travers le filtre des visées personnelles, d’une tendance de certains courants du monde du carnaval à imposer un fonctionnement particulier, parfois de manière antagoniste à d’autres actions, sachant que ce domaine est souvent un terrain pour les ego et un certain besoin d’exercer un petit pouvoir.
Les évolutions du carnaval sont liées à celles de la société qui doit absorber le désir de se défouler au détriment parfois de certaines valeurs conservatrices, de la volonté de provoquer grâce à une tolérance assumée, de s’exprimer sur nos réalités sociales, et de favoriser les capacités créatives de la population par la musique, les arts visuels et les scénographies populaires.
C’est en tout cas aussi un élément de notre économie circulaire, compte tenu du flux économique que cela représente localement, y compris pour les associations qui doivent financer leurs activités, quand elles ont des dépenses à prévoir à la hauteur de leurs présentations devant la population, qui se transforme en public de spectacle à ciel ouvert pour l’occasion. Dans cette approche économique, apparaît malgré tout une ambigüité permanente : est-ce que les autorités doivent payer des interventions de rue volontaires, effectuées dans un espace non marchand ?
S’il est vrai qu’il n’y a pas de pensée unique du carnaval, c’est quand même un lieu qui devrait rassembler les énergies autour d’un dénominateur commun qui permettrait la sauvegarde culturelle, et sa dimension artistique, et si un accord est réel, on pourrait parvenir à une valorisation permettant de considérer cette fête populaire comme un élément de l’attractivité touristique.
C’est un débat qui vise à transformer certaines actions en produits à intégrer dans un package à destination du monde, en n’oubliant pas que nous sommes en compétition avec les autres destinations du même type. Dans cet esprit, s’il est envisagé d’investir pour le « produit » (quelque que soit les dates d’une activité carnavalesque) et renforcer les recettes touristiques grâce à cette attractivité, il faudra sans doute des prestataires financés, en renversant le paradigme de la responsabilité, car tout l’espace du carnaval visible devient alors exploitable économiquement, avec répartition des résultats entre des partenaires public/privé.
La donne sécuritaire engageant la responsabilité des responsables de l’espace public à contrôler le fonctionnement du carnaval, en particulier pour les collectivités comme Fort-de-France qui disposent d’un service et de salariés pour gérer une mission spécifique, montre bien que la capacité à mettre en œuvre les opérations du carnaval va rythmer dorénavant les actions à l’initiative des acteurs comme des autorités. La persistance d’une polarisation hyper centrée sur Fort-de-France et Le Lamentin, dans une logique de massification rendue possible grâce aux infrastructures, ne peut pas néanmoins pas écarter l’appropriation par tous de cet élément du patrimoine et de la quête du bien-être qui en découle.
Yves Marie SERALINE
Président de l'OMDAC
Ingénieur culturel, formateur, auteur
Pdt commission culture et communication du CESECEM
Collectivité Territoriale de Martinique
Membre du comité de direction, Office de Tourisme(Espace Sud Mque)
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