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Lettre ouverte au procureur de la république française et au préfet de Guadeloupe

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Lettre ouverte au procureur de la république française et au préfet de Guadeloupe

Luc Reinette
Lettre ouverte au procureur de la république française et au préfet de Guadeloupe

Monsieur le Procureur,

Vous avez pris l‘initiative de me convoquer le jeudi 18 février 2021  à la Gendarmerie de Miquel à Pointe-à-Pitre au motif que mon MESSAGE A LA JEUNESSE GUADELOUPEENNE diffusé le 21 octobre 2020 constituait selon vous,  je cite :’’ Une incitation à la haine et à la violence à l‘égard de personnes en raison de leur origine, faits réprimés par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881.’’

Cette convocation représente à mes yeux et à ceux d’une majorité de guadeloupéens une grossière provocation politique visant à me faire taire, et à intimider tous ceux qui, dans notre Pays occupé et dominé, voudraient s’exprimer au nom de la liberté d’opinion et d’expression reconnue à tout citoyen.

Beaucoup de guadeloupéens s’interrogent sur les motivations véritables de  cette singulière convocation, près de 4 mois après la parution de ce Message à la Jeunesse, et s’avisent qu’il y a eu certainement concertation entre vous Procureur de la République française et le Préfet représentant l’Etat colonial français, compte tenu de la lettre et de l’esprit des motifs invoqués. Nous savons bien en effet que la séparation des pouvoirs est, en l’espèce et dans notre contexte, toute virtuelle. C’est la raison pour laquelle le Préfet est également destinataire de cette Lettre Ouverte.

Grâce à vous ce message qui n’avait touché sans doute que quelques milliers de personnes a pris, en moins de 24 heures, une ampleur sans précédent et dépassé largement les limites de la Guadeloupe.

J’estime que je n’ai pas à  me justifier de mes propos que j’assume pleinement, étant convaincu qu’aucune personne de bonne foi et douée de raison ne pourrait trouver dans mon adresse aux jeunes un quelconque appel, une quelconque incitation à la haine ou à aviolence à l’égard de quiconque. Comme par hasard, vous évoquez des personnes menacées en raison de leur origine. Mais de qui parlez-vous vraiment ? Qui sont ces personnes que vous n’osez définir ou désigner clairement? Seraient-elles  innommables ?

La vérité c’est que vous, comme beaucoup d’occidentaux, croyez incarner des valeurs universelles de liberté, d’égalité et de fraternité, autour desquelles vous avez bâti ‘’votreroman national’’. Hypocrisie que tout cela, lorsque l’on sait que votre fameuse ‘’Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen’’ du 26 aout 1789 ne nous concernait pas, comme l’a significativement reconnu DANTON, qui, lors du vote par la Convention de la première abolition de l‘Esclavage, le 4 février 1794, déclara : ‘’En rédigeant notre Déclaration, nous avions oubliéles Noirs qui sont restés sous les fers plus de 5 ans après notre Révolution’’. Faut-il par ailleurs rappeler que ce n’est pas par générosité que la Convention a ratifié cette dernière, mais sous la pression des insurgés Haïtiens qui avaient de fait imposé l’abolition del’Esclavage à Saint-Domingue dès aout 1793

Mon propos rappelant cette vérité historique, qu’à l’instar d’autres puissances européennes,  c’est par le vol, le viol, la déportation ,la mise en esclavage et le meurtre planifié que la France s’est emparée de nombre de Pays du Sud pour bâtir son empire colonial et imposer sa loi, la loi du plus fort..Le texte même de votre hymne national incite à la violence et à la haine de l’autre en ces termes : ‘’Qu’un sang impur abreuve nos sillons’’. Appeler implicitement à ce que  des flots de sang ’’impur’’ soient déversés dans les champs de France ne choque donc point votre conscience ? L’Afrique Noire comme la Guadeloupe font évidemment partie des victimes d’une conquête occidentale bâtie sur la brutalité, le racisme et la cupidité.

Cette vérité historique vous blesse, comme elle aurait blessé une grande figure française, Jules FERRY, adulé par vous comme père de l’Ecole laïque, alors qu’il était avant tout un suprématiste blanc, affirmant en juillet 1885 sur les bancs de votre Assemblée que les Noirs constituaient une ‘’race inférieure que la France avait le devoir de dominer et civiliser’’.

Elle aurait aussi blessé COLBERT, instigateur du Code Noir ou encore SCHOELCHER que vous présentez comme notre libérateur, alors que ce dernier affirmait en 1833 que «  les Noirs ne sont pas prêts à liberté et qu’il faut maintenir le fouet sans lequel les maitres Blancs ne pourraient plus se faire obéir » ( Extrait de : ‘’De la législation coloniale et de l‘esclavage desNoirs’’).

Monsieur le Procureur et monsieur le Préfet, les souffrances endurées par les nôtres, pour tous les crimes commis à leur encontre exigent Réparation, c’est une évidence. La France, sous la Seconde République a su dédommager les esclavagistes par la loi du 30 avril 1849, à l’issue d’un marchandage, Colonie par Colonie, sur le prix de rachat de chaque tête d’homme ou de femme réduit en esclavage.

Cette exigence de réparations et d’excuses vient d’être rappelée par Michèle BACHELET, ancienne Présidente du Chili et Haut Commissaire aux Droits de l’Homme à L’ONU, à tous les Pays occidentaux dont la France qui, cite-elle, ‘’ont asservi des peuples par la violence, le crime, le viol, le vol, la déportation et la mise en esclavage’’.

Sans doute Michèle BACHELET devrait-elle pour cela être déférée et poursuivie par vos tribunaux. !! 

Vous avez bien dit incitation à la haine ou à la violence ?

Et comment auriez-vous qualifié une agression violente, dictée par la haine et  visant à éliminer physiquement un militant, un patriote guadeloupéen, consistant à mitrailler  en pleine nuit sa maison ?

Le 16 novembre 1983, vers 3 heures du matin, une jeep avec à son bord 4 militaires  (gendarmes ou soldats ?) s’arrête devant mon domicile à la Jaille. Deux hommes de type caucasien en descendent et mitraillent non pas la façade de ma maison, mais ma chambre dont la baie vitrée va voler en éclats. Les murs de la chambre, mon lit et les portes seront criblés de balles. Avec ma petite famille, j’évacue en urgence  la maison pour me réfugier à Pointe-à-Pitre chez un parent. Je n’oublierai jamais et ne pardonnerai pas davantage..

Le lendemain, les inspecteurs de Police retrouvent 26 douilles de balles de gros calibre devant ma maison  et un chargeur visiblement tombé lors de l’attaque. Ils m’affirment que ce type de chargeur appartient à l’Armée et qu’avec le numéro inscrit à l’intérieur on pourra remonter à la caserne d’où venaient l‘arme et les assaillants. 

Chacun pourra se référer, en tant que de besoin, à l‘édition du 18 novembre 1983 du quotidien France-Antilles.

Moins d’une semaine après les faits, le chargeur avait disparu au sein du Commissariat de Pointe-à-Pitre, et l’enquête clôturée avant même d’avoir commencé. Quoi d’étonnant !!

Une justice digne de ce nom exigerait que la procédure soit ré-ouverte afin,  devinez … que justice soit faite, à la faveur des témoignages des voisins  et aussi des inspecteurs qui ont établi à l’époque un rapport circonstancié sur ces faits criminels.

Je réaffirme, quoi qu’il en soit, que notre Peuple, et en particulier notre jeunesse, est en danger de disparition. Nous étions plus de 430.000 habitants en Guadeloupe il y a une dizaine d’années et nous ne sommes plus que 397.000 aujourd’hui, du fait de l‘exode massif des jeunes à la recherche d’emploi. Dans le même temps, des milliers d’européens s’installent, trouvent des emplois bien rémunérés à travers des réseaux communautaires et achètent terres et maisons. Aimé CESAIRE parlait déjà de Génocide parsubstitution..Nous le constatons concrètement par la multiplication des actes de type raciste que nous vivons depuis peu sur notre propre sol, l’arrogance de nouveaux colons qui en appellent à votre justice pour détruire un temple Indien qui ne nous pose aucun problème,  l’agressivité de certains touristes qui violentent des travailleurs guadeloupéens, et la haine envers des clients Noirs comparés à des chiens, d’un restaurateur français installé aux Saintes.

Entreprise concertée ou pas, les patriotes que nous sommes ne peuvent oublier le Plan MESSMER de 1972, du nom du Premier Ministre d’alors qui visait froidement le remplacement de la population kanake par une population française qui deviendrait majoritaire à terme pour faire disait-il de la Nouvelle Calédonie, la Nouvelle Suisse française..Il conseillait alors-et par écrit-de faire entrer sur le territoire un maximum de femmes de type caucasien afin qu’elles participent par les naissances à inverser le rapport démographique. On qualifierait aujourd’hui cette politique de ‘’grand remplacement’’… 

Actuellement de telles choses ne se disent pas, mais elles se font dans le secret des Grandes Sociétés, des Agences Immobilières et des Etudes de Notaire.

Dans ce que d’aucuns appellent un ‘’trombinoscope’’ publié sur les réseaux sociaux en janvier 2021, les guadeloupéens ont pu constater que la trentaine de hauts fonctionnaires qui gouvernent laGuadeloupe sont tous des personnes de type caucasien, et cela sans exception..

Cela m’a rappelé les propos de feu Maitre Marcel  MANVILLE, propos tenus lors d’un procès des patriotes guadeloupéens en janvier1985, disant à Me Mourad OUSSEDIK, tout lui en montrant d’un geste du bras la composition du tribunal : » rien n’a changé depuis les procès où nous défendions ensemble à la Cour de Sûreté de l‘Etat des patriotes algériens :  Nous avons toujours affaire à une justice blanche et sèche..’’

La France est un curieux Pays où le droit institue la règle d’airain de la séparation des pouvoirs, règle qu’elle transgresse allègrement dans les faits, à raison de ses stratégies politiques et des ses intérêts inavouables. il y a eu la loi indemnisant sans état d’âme en 1849 les esclavagistes comme nous l’avons dit, mais aussi ce tour de passe-passe indécent qualifiant la Loi TAUBIRA de loi mémorielle, sans valeur normative, le rejet systématique des demandes en réparation de l’esclavage au motif que le crime était prescrit, et enfin le projet scandaleux de prescription relatif au chlordécone qui empoisonne nos terres et notre Peuple pour plusieurs siècles encore.

Je réitère mon appel en direction des jeunes de Guadeloupe en réaffirmant que ce Pays estle leur, qu’ils ne peuvent en  être dépossédés par substitution patrimoniale , car il est le seul à pouvoir légitimement féconder leurs projets et héberger leur avenir. Alors jeunes de Guadeloupe, arc-boutez-vous à cette terre et ne la quittez pas : exigez de pouvoir vivre et travailler au Pays, hors tout assistanat, avec vos savoirs, vos énergies et vos ambitions. !

Jeunes guadeloupéens, REVENEZ AU PAYS, où que vous soyez de par le monde, REVENEZ AU PAYS pour prendre votre juste place, pour participer au développement et au rayonnement de celui-ci, forts des compétences et des expériences que vous aurez acquises à l’extérieur. Le Peuple guadeloupéen est en droit d’exiger, comme en Corse ou à Tahiti qu’à compétence égale, les emplois existants ou à créer soient dévolus prioritairement à vous et que votre terre soit protégée des ‘’profitans’’de tous ordres par des Lois-Pays.

En conclusion, monsieur le Procureur et monsieur le Préfet, je persiste et je signe.Lacabale que vous  organisez contre moi au nom d’une légalité fallacieuse ne saurait prévaloir sur la légitimité de notre cause

Le gout immodéré de certains pour la répression les empêche de percevoir la colère qui monte dans le Pays, dans un contexte lourd où notre Peuple se sent de plus en plus dépossédé et marginalisé par de nouveaux conquérants qui  régentent tout et imposent leurs décisions.

Comment comprendre que quelques jours après la célébration du massacre de la St Valentin du 14 février 1952 (4 compatriotes tués par les gendarmes) et un mois après l’enterrement de Klod JEAN-PIERRE, mort suite à une arrestation musclée des gendarmes, vous vous livrez à de tels errements en oubliant que la relation entre nos deux peuples a toujours été marquée par le sang des travailleurs guadeloupéens que les gendarmes ont fait couler en Février 1910 à Saint-Francois (4 morts), en Février1925 à Petit-Canal ( 6 morts), en Février 1930 à Ste Rose  (4 morts) en mai 1967 à Pointe-à-Pitre (87 morts selon le Ministre des Colonies Georges LEMOINE) et en novembre1985 aux Abymes ( 1 mort, meurtre de Charles-Henri SALIN)..Que de sang impur a abreuvé vos sillons !

Convoqué par vous en raison de ma liberté d’opinion et d’expression, je suis dès lors en droit d’exiger la tenue d’un procès, ou chacun dira sa vérité et toutes les vérités..Nous y sommes prêts, nos avocats d’ici, de la Caraïbe, d’Afrique, d’Europe et moi-même.

Que votre Président sache, que sur cette terre de Guadeloupe, il existe de nombreux hommes et de nombreuses femmes épris de dignité et de liberté qui entendent se faire respecter dans leur Pays...

Ni haine, ni xénophobie que nous laissons aux fantasmes de nos accusateurs et dont nous faisons justice, mais tout simplement exigence de justice pour le Peuple guadeloupéen. 

                                  …SE KOD A YANM KA MARE YANM !

Luc REINETTE


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