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TRUMP ET LE CHAMP DU SIGNE

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TRUMP ET LE CHAMP DU SIGNE

Par Khal Torabully http://www.lemauricien.com/
TRUMP ET LE CHAMP DU SIGNE
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J’ai suivi de près, comme beaucoup, la campagne présidentielle américaine, que d’aucuns présentaient, pour aller vite, comme un choix entre la peste et le choléra. Nombreux sont ceux qui y ont vu le retour des flammes des faits et gestes de l’establishment empêtré dans ses propres contradictions et dérives. Et, il est aisé de relier le triomphe de Trump au décrochage grandissant entre les peuples et les élites, notamment au Brexit (aujourd’hui même en Californie on parle de Calexit), où on a converti le référendum sur l’adhésion à l’UE en vote de protestation anti-réfugiés/migrants, et au référendum « raté » de la Colombie. Avant les élections, je disais que je voyais Trump battre Hillary Clinton, tant les démocrates ont fait le mauvais choix de candidat(e). Lecture…

Noam Chomsky et le chant du cygne de l’homme blanc

En février dernier, Noam Chomsky faisait état du désespoir des ouvriers blancs laminés par la globalisation, laissés de côté par l’élite et gagnés par le désespoir. En effet, ils ont un niveau d’éducation affligeant, sont peu médicalisés et se sentent abandonnés par l’establishment politique. Drogue, alcool, suicides affectent ces oubliés du système. Je cite Chomsky : « Aucune guerre, aucune catastrophe, n’a été derrière ce pic de mortalité chez cette population. C’est juste l’impact des politiques à travers une génération qui les a rendus, il paraît, en colère, sans espoir, frustrés, causant un comportement autodestructeur » (1). Aussi, cette frange de la population blanche s’est laissé séduire par la promesse du candidat (aujourd’hui président) Trump, leur promettant grandeur, réussite et une place qu’ils ont perdue dans le pays et le monde… Trump le milliardaire a réussi, paradoxalement, à incarner la voix d’un lumpenprolétariat américain, jadis employé dans des usines automobiles et le secteur manufacturier traditionnel, aujourd’hui capté en grande partie par un géant qui a émergé par la mondialisation actée par les élites américaines, la Chine. Cela fait sens : ce facteur socio-économique a joué dans l’élection de Trump. Ajoutons aussi la personnalité trouble d’Hillary Clinton, belliciste avouée, mouillée dans plusieurs affaires, ne réussissant pas à s’imposer comme le recours face au danger populiste incarné par Trump candidat, dont le discours est entaché de machisme, de sexisme et de racisme.

Trump, en promettant de construire des murs, indiquait un retour vers le protectionnisme, mettant un frein à cette mondialisation dont les élites ont été d’infatigables championnes. Les États, y compris les États-Unis, pourront désormais (re) négocier certaines clauses de l’OMC qui ont mis beaucoup de pays à genoux. Ces petits blancs désorientés par l’hyperlibéralisme, selon Chomsky, « évoquent ici certains souvenirs de l’émergence du fascisme européen ». Et pour cause, la première à se réjouir de sa victoire fut Marine Le Pen, en France. Gageons, déjà, que la victoire de Trump impactera les élections présidentielles en France. Aussi, ce chant du cygne de l’Amérique blanche, en nouveau repli sur elle-même, laisse entrevoir une complexité qu’il convient de saisir…

Trump nous donne à lire un monde de signes plus complexe

La victoire de Trump provient aussi d’un fait majeur. Bernie Sanders, qui incarnait le vrai désarroi des oubliés de la mondialisation et de l’establishment en axant sa campagne sur le social (à gauche, donc), aurait pu tenir tête à Trump s’il n’avait pas été écarté de façon injuste par les démocrates, qui ont préféré miser sur une démocratie dynastique. Un autre élément de sociologie électorale permet de faire comprendre l’émergence d’un paradigme, dépassant les lignes « blanches » de Chomsky.

En effet, hier, ce sont aussi les blancs de la classe moyenne (accompagnés en cela par des rapports de vote de minorités vers Trump, car Hillary Clinton n’a pas rassuré ces segments de la population, notamment en politique étrangère) qui ont porté le remuant républicain au pouvoir. Paul Mason, du Guardian, titrait justement : « La mondialisation est morte, la suprématie blanche a triomphé » (2). Dans ce chant du cygne de la mondialisation, que Chomsky présentait aussi comme le chant du cygne de l’homme blanc, car il s’agit ici d’un retour vers des thèses raciales et ségrégationnistes susceptibles de signer la mort de la « suprématie blanche » dans un monde multipolaire, une nouvelle tendance se profile, celle de la racialisation accrue des urnes. Je cite Mason : « Donald Trump a remporté la présidence - non pas à cause de la “classe ouvrière blanche”, mais parce que des millions de citoyens américains instruits de classe moyenne ont sondé leur âme et y ont trouvé une suprématie blanche. » On saisit mieux la rhétorique de Trump, ancrée dans un « libéralisme national », dont le discours joue sur une double portée et n’est pas aussi simpliste comme l’ont présenté les médias. Je traduis l’excellente analyse de Mason : en ce qui concerne l’ethnicité et la migration, la dynamique qui a conduit Trump au pouvoir est assez simple une fois que vous comprenez le génie de droite pour le sous-entendu. Chaque fois qu’il a dit « nous allons construire un mur pour arrêter les Mexicains », les gens ont compris le deuxième terme non exprimé : et nous réimposerons la ségrégation à l’Amérique noire. Les premières victimes de la fureur maintenant libérée de la suprématie blanche seront les héroïques diplômés noirs qui ont fait de “Black Lives Matter” un syntagme culte…

Le décorticage des votes livrera d’autres réflexions sur l’échec de Clinton, laminées par de nombreux scandales et l’orgueil de l’élite de Washington, sur lequel Trump a fait feu de tout bois, en se clamant hors système. Il a réussi le formidable pari rhétorique, en prônant un retour vers la grandeur des « Américains » dans une Amérique hyperlibérale qui a oublié beaucoup, à devenir l’incarnation des « sans-voix »… Ce dernier paradoxe a de quoi alimenter d’autres champs du signe, notamment les référendums à venir en Italie et en Autriche le 4 décembre et les élections présidentielles en France. À mon sens, Marine Le Pen a déjà un VRP de taille en la personne de Trump, iconoclaste autoproclamé des establishments politiques, investissant la faille majeure des démocraties tenaillées par le fossé de désaffection grandissant entre les peuples et les élites. Béance dans laquelle la Bête laisse entendre des grondements de plus en plus audibles…

La victoire de Trump, indubitablement, laisse augurer d’un nouveau champ du signe, celui-là, dont la peur des altérités, alimentera des discours aptes à gangrener les assises des élites minées par leurs propres contradictions et cooptations. Ce champ, qui a fait tomber une barre de censure, est devenu, avec la victoire de Trump, un espace à investir (par tous les discours populistes), pour séduire des mécontents de tout bord, déçus par leur perte de repères et de dignité dans un monde multipolaire.

Notes :

(1) http ://www.huffpostmaghreb.com/2016/03/07/trump-chomsky-amerique-bl_n_9397890.html

(2) https ://www.theguardian.com/commentisfree/2016/nov/09/globalisation-dead-white-s...

 


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