Georgy Lamvohee: «J’ai été témoin de la protestation contre le lever du drapeau à Rodrigues»
A Rodrigues, le premier lever du drapeau national ne s’est pas effectué le 12 mars 1968, comme c’était le cas à l’île Maurice, mais un an plus tard. Ce laps de temps n’avait malheureusement pas été suffisant pour calmer les ardeurs des partisans du Parti mauricien social-démocrate (PMSD). Ils s’en tenaient à des instructions reçues pour résister à toute tentative de hisser le quadricolore sur le sol rodriguais. Des manifestants ont empêché un policier de hisser le quadricolore. Les forces de l’ordre ont alors utilisé du gaz lacrymogène et il y a eu des arrestations. Parmi les témoins oculaires de cette manifestation anti-indépendance, Georgy Lamvohee, aujourd’hui installé à Melbourne mais qui visite régulièrement son île. Il avait alors 15 ans.
Comment vous êtes-vous retrouvé au coeur de la cérémonie du lever du quadricolore un après l’Indépendance du pays, le 12 mars 1969 ?
Les Scouts de Port-Mathurin y avaient été invités. J’ai été témoin de la protestation contre le lever du drapeau à Rodrigues en 1969.
Où se déroulait la cérémonie?
La parade a eu lieu sur la plateforme qui servait, à l’époque, de court de tennis. Elle se trouvait devant le bâtiment de l’administration, contigu au bureau de poste et à le poste de police de Port-Mathurin.
Que s’est-il passé exactement ?
L’incident s’est produit au moment où le policier Luc Capdor commence à hisser le quadricolore au sommet du mât. Des personnes dans la foule l’en ont empêché. Tout a alors basculé. La police a utilisé du gaz lacrymogène. Mais, les manifestants avaient tout préparé. Munis de mouchoirs mouillés, ils étaient prêts à en découdre avec des membres de la force policière. Ils ont été brutalement stoppés et certains ont été détenus.
Qu’ont fait les autres personnes qui assistaient à la cérémonie ?
C’était le sauve-qui-peut général. Dans la foule, il y avait des invités de l’administration alors sous la supervision du magistrat Jocelyn Forget, des badauds et des fervents du PMSD. Ces derniers étaient venus pour protester contre le lever du drapeau. C’était la toute première fois qu’une manifestation d’une telle ampleur nécessitant une réaction aussi forte de la police avait lieu lors d’une cérémonie officielle.
Avait-on eu des indications que les choses pourraient prendre une tournure dramatique ?
Des fervents du PMSD avaient fait le déplacement pour faire obstacle au lever du quadricolore. Il y avait une tension dans l’air. Mais personne ne pouvait prévoir que la situation allait prendre une telle tournure.
«L'indépendance de l'île ne fait pas partie du projet politique de l'OPR ni de celui du MR.»
Les autorités avaient-elles tenté de calmer les choses ?
Le magistrat Jocelyn Forget a eu des pourparlers avec des partisans du PMSD. Selon mes renseignements, le magistrat leur aurait indiqué que le leader du PMSD leur avait demandé de ne pas résister au lever du drapeau. Les agents du PMSD ne voulaient pas entendre raison affirmant que jamais leur leader qui avait fait campagne contre l’indépendance ne dirait pas une chose pareille. Ils s’en tenaient à la promesse électorale selon laquelle si jamais le vote en faveur de l’indépendance devait l’emporter, des démarches seraient entreprises pour rattacher Rodrigues à la France.
Pourquoi résistait-on au lever du drapeau?
Le raisonnement était que Rodrigues avait voté massivement contre l’indépendance. L’annexion de l’île à Maurice était considérée comme un acte imposé à la population locale sans qu’on lui eût demandé son avis. La transition entre la posture adoptée durant la campagne électorale et celle qui consistait à rentrer dans les rangs n’a pas été faite en douceur. Elle a été trop brusque. Il y a eu un vide entre les dirigeants du PMSD et l’électorat rodriguais. Le nécessaire n’avait pas été fait pour amener les Rodriguais à intérioriser le changement intervenu au niveau de la direction nationale du parti.
Depuis, il y a eu l’avènement de l’Autonomie en novembre 2001. Croyez-vous que la tendance séparatiste perdure ?
Je pense que cette tendance existe. La preuve, c’est la présence sur l’échiquier politique local du Muvman Indépendantis Rodriguais. Ce parti briguera les suffrages aux élections de demain dans les régions La Ferme, Maréchal et Port-Mathurin. Johnson Roussety, dans un passé pas très lointain, a brandi l’indépendance de Rodrigues lorsque les relations avec le gouvernement central n’étaient pas au beau fixe.
Le concept d’indépendance peut-il faire une percée sur l’échiquier politique local?
Un projet politique bien ficelé autour de l’indépendance de Rodrigues ou du droit à l’autodétermination de l’île a toutes les chances de cristalliser, sur le plan électoral, le sentiment qui, avait animé ceux qui ont protesté contre le lever du quadricolore à Port-Mathurin, le 12 mars 1969. Il y aura toujours chez des Rodriguais, le sentiment d’une injustice subie quand Rodrigues a été annexée à Maurice sans qu’on eut demandé son avis à la population. L'indépendance de l'île ne fait pas partie du projet politique de l'OPR ni de celui du MR.