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Gérard Nouvet, martyr de la jeunesse martiniquaise

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Gérard Nouvet, martyr de la jeunesse martiniquaise

Cases Rebelles
Gérard Nouvet, martyr de la jeunesse martiniquaise

La police fait son travail politique avec un dévouement incontestable. Se sentant protégée et toujours couverte, il semble qu’elle dépasse toutes les limites inimaginables. Le cas-type apparaît être l’affaire Nouvet1 .

Ainsi parlait Camille Darsières de la plus grande injustice rencontrée dans sa carrière. Cet avocat, figure du Parti progressiste martiniquais (PPM), avait représenté la famille de Gérard Nouvet, un lycéen martiniquais tué à 18 ans.

1971. Les tournées ministérielles dans les colonies départementalisées sont l’occasion de fournir les images d’une assimilation républicaine épanouie. Il n’était pas question que ce voyage de Pierre Messmer, ministre d’État de l’outre-mer, en mai, fasse exception. Marseillaise, drapeaux tricolores, pancartes « Fidélité au gaullisme», « Vive la France», « Vive la nation» l’avaient accueilli en Guadeloupe. Le pays venait pourtant de vivre un mouvement social de plusieurs mois qui avait touché plusieurs secteurs et avait sérieusement imposé dans le paysage politique le syndicat UTA, issu de l’activisme indépendantiste et des luttes agricoles en milieu rural.
L’étape suivante était la Martinique. Là aussi, depuis l’appel à la grève générale du 10 février, la contestation s’était étendue à de nombreux secteurs économiques : à la suite des employés de la SPDEM (électricité), des chauffeurs de la TUMA (service de transport urbain) et des ouvriers du bâtiment, les services publics (grève du personnel de l’hôpital du Lamentin) et les banques avaient rejoint le mouvement.

Ce 13 mai 1971, il règne donc à Fort-de-France une forte tension. Centrales syndicales et partis politiques ont appelé à manifester devant le conseil général, là où est attendu le ministre pour « dialoguer » avec le président Émile Maurice. Parmi eux, le PPM, avec à sa tête Camille Darsières. Le PPM, autonomiste, est sorti renforcé des élections municipales de mars qui ont vu la déroute des candidats soutenus ou placés
par le pouvoir.
Les revendications du moment tournent autour du statut et du chemin vers l’autonomie. Mais Messmer ne souhaite discuter de l’évolution statutaire que dans la limite de la Constitution : autrement dit, dans le cadre du maintien de la politique néocoloniale.
Le mouvement lycéen est particulièrement mobilisé : depuis la manifestation historique du 10 janvier 1969 contre la venue d’Inchauspe, ministre des DOM, il s’impose comme un acteur majeur des luttes sociales. Les lycéens dénoncent le fonctionnement de l’enseignement colonial, l’exil économique des jeunes Martiniquais en France, les condamnations arbitraires de jeunes militants. Ceux de Fort-de-France et de Trinité ont fait grève le mois précédent.

Le déploiement des forces de police, plus important qu’à l’ordinaire, témoigne du caractère exceptionnel de cette journée ; Grollemund2 , Terrade3 , Foccart, Messmer n’ont pas lésiné sur les moyens4 .

Ce matin du 13 mai, les cortèges sont durement réprimés, dispersés à l’aide de gaz lacrymogène, pourchassés par les gardes mobiles. Il y a un début d’incendie dans les locaux de France-Antilles et les services du BUMIDOM. À 13 heures, le calme revient.

Cet après-midi-là, Gérard Nouvet, interne au lycée Schoelcher, a une permission de sortie. Il rejoint des amis et son amie, rue de la République, là où les jeunes ont l’habitude de se rencontrer.

Je me dirigeais de la pharmacie Goussard vers le magasin Bata où je désirais acheter des chaussures. Je traverse la rue de la République qui était parfaitement calme ; les gens qui s’y trouvaient y vaquaient à leurs occupations en toute tranquillité. La circulation était habituelle. Je croise le groupe de jeunes gens qui, tous les jeudis à la même heure sont soit assis sur le rebord de la pharmacie Cherchel-Turiaf, soit
debout sur le trottoir. Ils sont une dizaine environ, le nombre que je croise habituellement tous les jeudis à la même heure. Ils sont très calmes, discutent comme d’habitude sans faire de bruits excessifs. Ils sont corrects et me laissent poliment le passage. Je ne remarque ni cailloux, ni tracts, ni nervosité de leur part. Je rentre chez Bata par l’entrée du magasin située rue de la République. Je regarde quelques chaussures lorsque j’entends une déflagration sourde. Je me retourne, vais dans la rue et aperçois deux
cars de forces de l’ordre. […] Deuxième déflagration sourde et je vois l’homme en uniforme kaki situé à l’arrière-gauche du camion recharger son fusil lance-grenades dont le canon est à hauteur d’homme
(témoignage de Marie-Madeleine Desche)5 .

Une grenade semble avoir atteint Gérard à la tête. Serge, un ami, est également grièvement blessé.
Henri Melon, professeur, raconte :

Arrivé à l’angle des rues Lamartine et Schoelcher, j’ai aperçu un attroupement. Je me suis approché jusqu’à la porte du docteur Pigeon. Je vois alors un jeune homme la tête ensanglantée et tenant contre les lèvres un mouchoir taché de sang. Je me souviens l’avoir entendu dire “Nou té là, nou pa menm dit çé missié a ayen”6 .

Emmené à l’hôpital, Gérard décède après une nuit dans le coma. Il demeure encore un doute sur les causes exactes du décès : émanations du gaz lacrymogène ou impact de la grenade ? Il y a sur son front un très léger renfoncement.

Le peuple martiniquais se soulève, manifeste sa tristesse et sa colère pendant deux nuits – le séjour de Messmer est écourté. Un comité Gérard Nouvet voit le jour.

Pour Camille Darsières, le meurtrier aurait été facile à retrouver, puisque toutes les munitions sont inventoriées. Le 12 juillet 1972, les attendus d’un arrêt de la chambre d’accusation de Fort-de-France établissent clairement la responsabilité d’une unité de gendarmes mobiles. Mais l’affaire est tout simplement enterrée quand le procureur annonce qu’elle ne relève pas du parquet de droit commun mais du parquet militaire.
En juin 1973, ce même procureur déclarera d’ailleurs au tribunal correctionnel de Fort-de-France :

Gérard Nouvet a été tué à bout portant par un garde mobile, je dis bien un garde mobile7 .

En juillet 1972, le dossier est transmis au Tribunal permanent des forces armées de Bordeaux mais l’instruction piétine. Aucun procès n’aura donc lieu.

À l’injustice s’étaient ajoutées la propagande du préfet et celle de Messmer pour justifier le meurtre. Alors qu’aucune manifestation n’avait eu lieu dans l’après-midi à Fort-de-France, Messmer déclare à la radio :

Ce lycéen n’a pas été tué en tant que lycéen, mais en tant que manifestant. En venant manifester, il devait bien savoir qu’il prenait des risques, ce qui ne lui serait pas arrivé s’il était resté au lycée…

Procès Courbain MessmerOn retrouve bien ici l’homme qui a orchestré des massacres coloniaux, au Cameroun notamment : Gérard serait responsable de sa propre mort. Le pouvoir entend imposer cette version des faits et punir sévèrement quiconque la remettrait en cause.

À l’automne 1972, Christian Courbain, le directeur du journal lycéen martiniquais Mouvement du 10 janvier sera jugé pour diffamation de l’armée française et de Pierre Messmer, pour avoir écrit que la mort de Gérard était un assassinat.

Le 22 mai 1972, lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, Aimé Césaire, maire de Fort-de-France, évoque le lycéen, symbole de « la jeunesse martyre, victime des exactions colonialistes ». Il annonce la décision de donner à une rue le nom de Gérard Nouvet :

Tombé sous les balles ou sous la grenade de la police lors du voyage de Messmer. […] Gérard Nouvet prend désormais place dans le long martyrologue de notre peuple, à côté des Martiniquais et des Martiniquaises tombés au cours des siècles, victimes du colonialisme et du sadisme policier.

Dans Une manière d’Antigone (1975), dédié à « tous nos fusillés assassinés d’oubli», Patrick Chamoiseau honore la mémoire de Gérard Nouvet.
Son souvenir demeure également bien vivant dans le centre culturel de Fort-de-France qui porte son nom et propose des animations culturelles axées sur le patrimoine martiniquais et les traditions.

A.L.  – Cases Rebelles

*       *       *

Extrait de 100 portraits contre L’État policier, Cases Rebelles (Février 2017).

  1. Camille Darsières, Des Origines de la nation martiniquaise, Le Lamentin, Desormeaux, 1974. []
  2. Michel Grollemund est le secrétaire général des départements d’outre-mer. []
  3. Jean Terrade est le préfet de la Martinique. []
  4. Courbain contre Messmer, procès colonial, Libération Antilles-Guyane, Édition du groupe
    Révolution socialiste, 1972. []
  5. Témoignage extrait de Courbain contre Messmer : procès colonial, op. cit. []
  6. « On était là tranquillement, on ne leur a même pas parlé. » []
  7. Débat parlementaire du 16 octobre 1973. []
Date: 
Mercredi, 12 Mai, 2021 - 21:02

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