"Vers une heure du matin, dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 juillet 2021, un groupe d'individus non identifiés, dont certains parlaient en espagnol, ont attaqué la résidence privée du président de la République et ainsi blessé mortellement le chef de l'État", a annoncé le chef du gouvernement dans un communiqué. "Condamnant cet acte odieux, inhumain et barbare", le Premier ministre appelle "la population au calme" et assure que "la situation sécuritaire du pays" est "sous contrôle".
L'épouse du président a été blessée dans l'attaque et hospitalisée, a précisé Claude Joseph.
Un pays gangréné par la violence
"Les circonstances sont assez floues sur ce qu'il s'est passé dans la résidence privée du président, qui habite sur les hauteurs de la capitale Port-au-Prince", explique Amélie Baron, la correspondante de France 24 en Haïti.
Venu du monde des affaires, Jovenel Moïse, 53 ans, avait été élu président en 2016 et avait pris ses fonctions le 7 février 2017. Haïti, pays des Caraïbes et nation la plus pauvre du continent américain, est gangrené par l'insécurité et notamment les enlèvements contre rançon menés par des gangs jouissant d'une quasi-impunité. Une situation qui valait à Jovenel Moïse, accusé d'inaction face à la crise, d'être confronté à une vive défiance d'une bonne partie de la société civile.
"L'annonce de cet assassinat dans ce contexte où les bande armées contrôlent une majeure partie de la capitale haïtienne, c'est jeter un peu plus le trouble dans ce pays où une majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté et peine à survivre", estime Amélie Baron.
Depuis début juin, des affrontements entre bandes rivales dans l'ouest de Port-au-Prince paralysent toute circulation entre la moitié sud du pays et la capitale haïtienne. Des milliers d'habitants du quartier très pauvre de Martissant, disputé par les gangs, ont été contraints de fuir leur logement et ont dû être accueillis par des proches ou dans des gymnases. Le 30 juin, 15 personnes ont été tuées dans une fusillade en plein Port-au-Prince, dont un journaliste, Diego Charles, et une militante politique d'opposition, Antoinette Duclair.
"Un flou total"
Dans ce contexte particulièrement tendu et faisant redouter un basculement vers l'anarchie généralisée, le Conseil de sécurité de l'ONU, les États-Unis et l'Europe appelaient à la tenue d'élections législatives et présidentielle libres et transparentes d'ici à la fin de l'année.
Jovenel Moïse avait annoncé lundi la nomination d'un nouveau Premier ministre, Ariel Henry, avec justement pour mission la tenue d'élections. "C'est un flou total dans lequel est plongé le pays. Il n'y a pas de Premier ministre en fonction. Claude Joseph effectue un intérim", précise Amélie Baron. "Ariel Henry n'a pas encore pris ses fonctions. Selon la constitution haïtienne, c'est au président de la Cour de cassation d'assurer le pouvoir en cas de vacance de la présidence, mais il est décédé du Covid récemment."
Gouvernant par décret depuis janvier 2020, sans Parlement, et alors que la durée de son mandat faisait l'objet de contestations, Jovenel Moïse avait également mis en chantier une réforme institutionnelle. Un référendum constitutionnel initialement prévu en avril, reporté une première fois au 27 juin puis à nouveau en raison de l'épidémie de Covid-19, devait se tenir le 26 septembre. La réforme avait pour but de renforcer les prérogatives de l'exécutif.
Interrogé sur l'antenne de France 24 à l'annonce de cet assassinat, Didier Le Bret, ancien ambassadeur de France en Haïti, a rappelé que Jovenel Moïse rejoint "la liste déjà trop nombreuse" des "chefs d'État et de gouvernement de ce pays depuis l'indépendance qui ont été soit renversés ou assassinés. On renoue avec une histoire qui avait été mise entre parenthèses."
En 1987, Yves Volel, candidat à la présidence et leader du Rassemblement des démocrates, avait été assassiné devant le quartier général de la police de la capitale. Six ans plus tard, le ministre de la Justice, Guy Malary, avait trouvé la mort après avoir été criblé de balles en se rendant à son bureau.