HAĂTI : UNE CATASTROPHE AU RALENTI
par Pierre D. Edugene http://haiti-refondation-org.over-blog.com/
Lâon vous aurait dit, Ă la veille du fameux tremblement de terre du 12 janvier 2010 que la plupart des Ă©difices de la capitale (le palais national, la cathĂ©drale de Port-au-Prince et la plupart des autres Ă©glises, le marchĂ© en fer, les lycĂ©es et les collĂšges, etc.) s'Ă©couleraient le lendemain, en moins d'une minute, des gens comme vous et moi, gens de bon sens et d'intelligence, nâaurions pas cru Ă de pareilles sornettes. Pourtant certains experts sâĂ©taient aventurĂ©s Ă prĂ©dire une telle catastrophe et avaient, par divers moyens, cherchĂ© Ă donner l'alerte. Ils n'ont pas Ă©tĂ© entendus.
« Le poÚte a toujours raison.
Qui voit plus loin que l'horizon
Et le futur est son royaume.»
Depuis au moins dix ans, des routes, des terres agricoles, des villages, sont submergés de maniÚre continue et irréversible dans divers coins du pays. C'est l'indifférence. Cela ne fait pas les manchettes et titres des journaux. Cela ne figure pas dans les déclarations de politique générale et les discours d'investiture. Et est encore moins sujet de débats lors des joutes électorales.
Cette scÚne se déroule en Haïti - SiÚge Social - Association ....(illisible)
Mais pourquoi n'en parle-t-on pas plus souvent en HaĂŻti ? Car, si cette information Ă©tait mieux vĂ©hiculĂ©e, cela pourrait Ă©ventuellement contribuer Ă Ă©veiller un tant soit peu les consciences. La tendance, en gĂ©nĂ©ral, d'un homme placĂ© devant une situation stressante, est de commencer Ă chercher une solution. Mais comment peut-il en ĂȘtre conscient s'il n'est pas informĂ©, sâil ne connait pas la nature et la dimension du problĂšme. Ici c'est le rĂŽle du gouvernement en place. Et la presse devrait davantage sâimpliquer.
Cela peut aussi bien ĂȘtre source d'angoisse. Et bien tant mieux ! L'angoisse est source de crĂ©ation disait AndrĂ© Malraux.
Village Lunettes Crédit Photo Alessandro Grassani (National Geographic)
HaĂŻti dans lâeau tiĂšde
Connaissez-vous cette fable de la grenouille dans lâeau bouillante ? Placez, dit-on, une grenouille dans de l'eau chaude, elle s'Ă©chapperait d'un bond. Si vous la mettez dans de l'eau trop froide, vous obtiendriez le mĂȘme rĂ©sultat. Par contre, si on la place dans de lâeau tiĂšde, elle y reste. Que l'on chauffe trĂšs lentement cette eau et quâon la porte progressivement jusquâĂ Ă©bullition, la grenouille ne s'en aperçoit pas. SâĂ©tant habituĂ©e Ă la tempĂ©rature, elle continue Ă prendre ses Ă©bats dans cette eau sans prendre conscience du danger dans lequel elle se trouve, sans savoir quâelle est en train dâĂȘtre cuite. Petit Ă petit, lâaugmentation de la tempĂ©rature finit par paralyser ses membres. Et fermant les paupiĂšres, elle sâendort, puis sâendort dĂ©finitivement.
HaĂŻti et son peuple sont dans une situation comparable Ă celle de la grenouille placĂ©e dans de lâeau tiĂšde. Elle est en train, par paliers successifs, d'ĂȘtre discrĂštement submergĂ©e, sans que la majoritĂ© « bien-pensante » sâen aperçoive et sans que ses dirigeants en tiennent compte du fait.
Crédit Photo AxL Senelonge
Lâinformation, une arme prĂ©cieuse dans la lutte contre ce rĂ©chauffement climatique
Il existe une asymĂ©trie dâinformations entre les experts du climat et les pouvoirs dĂ©cisionnaires : une masse Ă©norme de connaissances en la matiĂšre dâun cĂŽtĂ©, un cruel dĂ©ficit dâinformations scientifiques de lâautre. Or, lâon ne peut jamais prendre de bonnes dĂ©cisions que sur la base dâinformations fiables. Donc, un vĂ©ritable drame quand lâon sait quâil y va de la vie de plusieurs millions de gens dans la balance. 80 % de la population haĂŻtienne vivent dans des villes situĂ©es sur le littoral. Il ne serait pas inutile de rappeler quâHaĂŻti est classĂ©e par les experts parmi les dix pays qui seront les plus durement touchĂ©s par ce phĂ©nomĂšne. Cela devait faire lâobjet dâune attention plus soutenue des pouvoirs publics. Pourtant cela n'a pas l'air de prĂ©occuper grand monde en HaĂŻti. Jan-l passĂ© l-passĂ©.
Anciennement, HĂŽtel prĂšs du Lac Azuei (Photo Dieu Nalio Chery)
Comme lâa soulignĂ© le SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâOMM (Organisation mĂ©tĂ©orologique mondiale), M.Michel Jarraud, Ă lâoccasion de la ConfĂ©rence des Nations Unies sur les changements climatiques qui se tenait Ă PoznaĆ (Pologne) : « Lâinformation climatologique sauve des vies⊠Elle constitue la base scientifique nĂ©cessaire pour prendre des dĂ©cisions raisonnĂ©es en matiĂšre de gestion des ressources alimentaires et des ressources en eau, de santĂ© publique, de rĂ©duction des risques de catastrophes et de planification Ă©conomique. » cpa[at]wmo.int
Dans un article précédent, nous avions relaté quelques-unes des déclarations des principaux leaders politiques mondiaux et fait état du contenu de certains rapports scientifiques. Ceci, dans le but de montrer qu'il s'agissait là d'un sujet sérieux. Il nous paraßt nécessaire, ici encore, de faire une petite récapitulation. Nous ne craignons pas de nous répéter. il ne s'agit pas ici de belles-lettres ni d'exercice littéraire, mais de vulgarisation d'un sujet mal connu et d'une importance capitale pour le pays.
 Ainsi, nous avions entendu Ban Ki Mon, le SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies, nous dire que « pendant trop longtemps nous avions sous-estimĂ© lâurgence du changement climatique⊠que nous sommes au bord de la catastrophe⊠et quâil Ă©tait temps de se rĂ©veiller... » Puis, le ministre des Affaires ĂtrangĂšres de la France, M. Laurent Fabius qui dĂ©clare : « quâil est minuit moins cinq pour le climat, que nous avons 500 jours pour Ă©viter une catastrophe climatique⊠que lâavenir de lâhumanitĂ© Ă©tait en jeu dans cette affaire. » Ensuite, son homologue amĂ©ricain, M. John Kerry nous a fait savoir que « le changement climatique peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une arme de destruction massive, peut-ĂȘtre lâarme la plus terrifiante. Une menace beaucoup plus importante que âle terrorisme, les Ă©pidĂ©mies, la prolifĂ©ration des armes de destruction massive, etc.â. Ensuite, nous avons Ă©galement entendu lâex-ministre amĂ©ricain de la DĂ©fense Chuck Hagel dĂ©clarer le lundi 13 octobre 2014, lors dâune confĂ©rence rĂ©unissant les ministres de la DĂ©fense du continent amĂ©ricain au PĂ©rou que dans les CaraĂŻbes, Ă cause de la hausse du niveau de la mer⊠certaines Ăźles devraient ĂȘtre complĂštement Ă©vacuĂ©es », et que face au changement climatique, lâarmĂ©e amĂ©ricaine doit se tenir prĂȘte.
Nous avions ensuite relayĂ© les prĂ©occupations de certaines institutions financiĂšres internationales (IFI) qui rejoignent celles exprimĂ©es par les dirigeants mondiaux sur le sujet. De mĂȘme que celles de certaines grandes entreprises transnationales telles que NestlĂ©, Apple, Acer, Symantec, Levy Strauss, Autodesk, General Motors Company, Microsoft, Unilever etc,. Pour ces derniĂšres, « le dĂ©rĂšglement climatique fait peser une vĂ©ritable menace sur la prospĂ©ritĂ© de leur pays respectif, de leur communautĂ© et de leurs familles⊠Et quâil nâĂ©tait pas « question de fonder un vain espoir dans le fait que tous ces scientifiques pourraient bien se tromper, » ont-elles affirmĂ© dans un communiquĂ© conjoint. Quant au prĂ©sident de la Banque mondiale, M. Jim Yong Kim, il convie les dirigeants de la planĂšte Ă agir vite, sinon « nous risquons, dit-il, de lĂ©guer Ă nos enfants un monde tellement diffĂ©rent de celui dans lequel nous vivons quâil est difficile de le dĂ©crire ».
Tous ces propos sont certes inquiĂ©tants. Mais vous conviendrez avec nous, quâils ne proviennent pas de personnages loufoques ou dâindividus irresponsables. Ce sont des dĂ©clarations Ă©manant dâentitĂ©s Ă©conomiques et financiĂšres, dâorganismes scientifiques et de responsables politiques internationaux, dont parmi eux, certains qui occupent lâavant-scĂšne internationale depuis dĂ©jĂ quelques bonnes dĂ©cennies. Nullement des dĂ©clarations alarmistes, farfelues et sans fondements scientifiques. Câest une situation inĂ©dite qui peut paraĂźtre effectivement invraisemblable, surrĂ©aliste mĂȘme.
En effet, le dĂ©rĂšglement climatique et plus particuliĂšrement la hausse du niveau des mers crĂ©ent une situation dramatique pour lâensemble des pays de la planĂšte particuliĂšrement pour les petits Ătats insulaires, dont lâexistence mĂȘme de certains dâentre eux, selon les experts climatiques, paraĂźt menacĂ©e, avions-nous dĂ©jĂ mentionnĂ©.
Haïti devra se réveiller
Bien sĂ»r, en HaĂŻti, nous avons une situation post-sĂ©isme Ă gĂ©rer, en plus de tous les problĂšmes qui affectent les pays sous-dĂ©veloppĂ©s (misĂšre, chĂŽmage, faim, manque de couverture sanitaire, etc.) Puis les sempiternels problĂšmes politiques. Nous avons aussi nos obligations quotidiennes, le problĂšme de lâinsĂ©curitĂ©, le black-out, les moustiques, les Ă©pidĂ©mies, le chickunguya, le cholĂ©ra, le zika etc. Et la difficultĂ© est grande pour dĂ©finir et dĂ©cider des prioritĂ©s. Aussi, du citoyen lambda jusquâaux pouvoirs publics, nul nâa effectivement le temps de se soucier du problĂšme du dĂ©rĂšglement climatique.
Mais HaĂŻti devra se rĂ©veiller. Les citoyens, les organisations de la sociĂ©tĂ© civile et la presse devront interpeller les politiques sur le rĂ©chauffement climatique et la montĂ©e des eaux. QuâHaĂŻti ne se conduise pas comme la grenouille. Comme le chante Bob Dylan : « l'eau commence Ă monter, soyez donc plus clairvoyants ». Car, tout ceci pourrait n'ĂȘtre que le prĂ©lude de ce que sera la nouvelle rĂ©alitĂ© des principales villes cĂŽtiĂšres d'HaĂŻti.
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Pierre D. EDUGĂNE