Lettre de Frantz Fanon à ses parents
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Frantz Fanon (20 juillet 1925 – 6 décembre 1961) est un psychiatre martiniquais. Fortement impliqué pour l’indépendance lors de la guerre d’Algérie, il est devenu l’un des maîtres à penser des intellectuels tiers-mondistes. Les Damnés de la Terre et Peaux noires, masques blancs, ses deux essais incontournables, sont aujourd’hui des références mondiales pour les études post-coloniales.
En 1943, le tout-jeune Frantz Fanon s’enrôle dans l’Armée française de la Libération, après le ralliement des Antilles françaises au général de Gaulle. Mais son idéal d’engagement est mis à mal par l’expérience de la discrimination et du racisme. Alors que la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin, il exprime son désarroi à ses parents comme on peut le lire dans la lettre suivante. Mais Frantz Fanon ne sera pas éternellement découragé. Sitôt devenu « ancien combattant », il peut entamer des études de médecine et commencer à écrire. Sa mort précoce ne viendra pas du champ de bataille, mais d’une maladie : Fanon s’éteint des suites d’une leucémie dans un hôpital militaire de la banlieue de Washington, quelques mois avant l’indépendance algérienne.
12 avril 1945
Aux Armées
Chers parents,
Aujourd’hui, 12 avril. Un an que j’ai laissé Fort-de-France. Pourquoi ? Pour défendre un idéal obsolète. Je crois que cette fois j’y resterai. Dans toutes les bagarres où j’ai été, j’ai toujours eu le souci de vous revenir et aussi de la veine. Mais je me demande en ce jour si l’épreuve ne me sera pas imposée de sitôt. Je doute de tout, même de moi.
Si je ne retournais pas, si vous appreniez un jour ma mort face à l’ennemi, consolez-vous, mais ne dites jamais : il est mort pour la belle cause. Dites : « Dieu l’a rappelé à lui », car cette fausse idéologie, bouclier des instituteurs laïques laïciens et des politiciens imbéciles ne doit plus nous illuminer. Je me suis trompé !
Rien ici, rien qui justifie cette subite décision de me faire le défenseur des intérêts du fermier quand lui-même s’en fout.
On nous cache beaucoup de choses. Mais vous les saurez par Manville ou Mosole. Nous sommes trois au régiment. Dispersés, nous nous écrivons et quand bien même disparaîtraient deux, le troisième vous révélera les affreuses vérités.
Je pars demain, volontaire pour une mission périlleuse, je sais que j’y resterai.