Braquage Route de Frères, Pétion-Ville
Gerry L’Etang
L’ethnologue martiniquais Gerry L’Etang retrace une agression qu’il a subie fin août à Pétion-Ville, Haïti.
L’écrivain haïtien Dominique Batraville et moi, finalisions au bar de l’hôtel Kinam de Pétion-Ville un récit à quatre mains, mythologie d’une figure macoute. Il était vingt heures, je devais me rendre Route de Frères, j’étais en retard. Je pris place Saint-Pierre une moto-taxi.
A une cinquantaine de mètres d’une station-service National, à un endroit où la Route de Frères traverse la pénombre, une autre moto transportant deux hommes se porta à mon niveau. Son passager pointait sur mon ventre un gros pistolet noir :
- Ban m tout sa k sou ou, blan !
Le conducteur de la moto où je me trouvais, s’arrêta brutalement avant de détaler, me laissant seul face aux braqueurs. Je m’efforçai de masquer à quel point le pistolet me tétanisait, de paraître le plus conciliant possible :
- Koul mann, koul ! Pran tousa ou lé.
Celui qui tenait l’arme me fouilla. Il était d’une fébrilité inquiétante et la perspective de recevoir une balle qui vu la taille du pistolet promettait d’être énorme, me liquéfiait. J’avais lu quelque part (mais peut-être était-ce délirant) que les projectiles de fort calibre pénétraient le corps en perçant un petit trou pour ressortir en un orifice du diamètre d’une balle de tennis. J’ôtai de mes poches, avec des gestes mesurés, un téléphone, un porte-carte, un routeur, un sachet de m&m’s, les lui remis un à un tandis que l’autre bandit s’emparait brutalement de mon sac contenant un ordinateur portable puis demandait :
- Pa rété anyen ankò, blan ?
Je lui désignai son complice en assurant :
- An-an, i pran tout !
Ils remontèrent à moto, repartirent à toute. L’agression n’avait pas duré deux minutes.
Sonné, flageolant, je m’assis sur le trottoir. Dix minutes après je me rendis compte que mon conducteur n’était pas revenu alors même qu’il n’y avait plus de danger. Il était peut-être de mèche avec les braqueurs. Je m’aperçus encore qu’il me restait un tableau acheté l’après-midi et qu’enroulé je tenais en main, avec, dans mes poches, un second téléphone portable ainsi qu’un portefeuille renfermant des centaines de dollars, des milliers de gourdes. Dans l’émoi de l’agression, je n’avais pas tout donné. Une angoisse me traversa : que se serait-il passé si le type armé s’était rendu compte que j’avais gardé l’argent ?
Je rejoignis non loin, à un angle de la route, un groupe entourant une marchande de fritures. Ils n’avaient rien vu de ce qui m’était arrivé. J’expliquai l’affaire. Un des hommes ramassa une pierre qu’il fessa de colère par terre :
- Ou té dwé rélé nou, blan ! Nou t ap kalonnen yo ak kout wòch, masakré yo !
Je repris une autre moto-taxi pour le sous-commissariat de Vivy-Mitchel à cinq minutes de là, remplis une main courante et acceptai de revenir le lendemain pour la plainte proprement dite.
Celui qui enregistra ma plainte, un comandant du sous-commissariat, était affable, disert. Il disposait d’un grand bureau climatisé et écrivait sur un meuble de bois massif, brillant. Dans un coin de la pièce, une policière très noire, formidablement jolie, se maquillait consciencieusement.
Le commandant me confia qu’on comptabilisait en moyenne quatre évènements de ce type par mois Route de Frères, mais que depuis trois mois qu’il travaillait là, on ne déplorait aucun blessé ou mort parmi les agressés. Un agresseur avait par contre été tué par sa victime armée.
Il m’expliqua encore que ma qualité de « blanc », c’est-à-dire de mulâtre ou d’étranger, voire les deux, était une circonstance à la fois aggravante et atténuante. Aggravante parce qu’étant censé transporter davantage de valeurs qu’un autre, j’étais plus exposé au vol. Atténuante parce que je risquais moins d’être abattu, ne serait-ce que parce qu’il était peu probable que je sois armé, mais également parce que tuer un étranger en Haïti était un crime aux conséquences potentiellement gravissimes pour qui le commettait.
Enfin, il me promit que la police essaierait retrouver mes braqueurs. D’autant qu’il y avait des objets volés qui permettraient peut-être de remonter jusqu’à eux.
La policière avait maintenant fini de se maquiller. Le rouge, le gloss, le blush aggravaient sa beauté.