ADIEU A JEAN BERNABE
par Hugues Saint-Fort
La créolistique contemporaine vient de perdre l’un de ses plus brillants représentants en la personne du linguiste créoliste martiniquais Jean Bernabé. Sa réputation internationale bondit vers la fin des années 1980, plus exactement en 1989, quand, avec deux autres intellectuels martiniquais, le romancier Patrick Chamoiseau (qui allait obtenir le Goncourt en 1992 avec son roman Texaco) et le linguiste et écrivain Raphaël Confiant, il publia chez Gallimard le célèbre essai, Éloge de la créolité.
Je ne peux résister au désir de citer ce passage du célèbre essai : « Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles, cela sera pour nous une attitude intérieure, mieux : une vigilance, ou mieux encore, une sorte d’enveloppe mentale au mitan de laquelle se bâtira notre monde en pleine conscience du monde… » Nulle proclamation identitaire ne saurait mieux définir les trois auteurs mais elle convient d’une manière toute particulière à Bernabé pour sa conscience calme de linguiste créoliste et son ouverture au monde.
Agrégé de grammaire et docteur d’état, Jean Bernabé a conquis toutes les facettes de sa carrière d’enseignant-chercheur : des publications, par exemple, Fondal-Natal, Grammaire comparée des créoles guadeloupéen et martiniquais (1975), le lancement du GEREC (Groupe d’Études et de Recherches en Espace Créole), qui est à l’origine de la revue Espace Créole, spécialisée en linguistique et sociolinguistique, de MOFWAZ, revue de didactique du créole, et de TED (Textes, Études, Documents), revue spécialisée dans la littérature antillaise francophone et créolophone. C’est lui qui a lancé dans les années 2000 la création de la Licence de créole toujours en vigueur dans les DOM malgré une forte opposition.
Au-delà de sa grande érudition, ce qui me frappait chez Jean, c’était la chaleur et la spontanéité qui se dégageaient immédiatement de sa personne. Chez lui, pas de faux-semblant, pas de simulacre. C’était du réel, du solide, du vrai. Son amour de la langue et de la culture créoles était clair et lumineux. J’ai découvert Jean Bernabé l’universitaire, le jour de la soutenance de sa thèse d’État à la Sorbonne et il y avait là, également, en tant que membres du jury, le sociolinguiste américain, William Labov et ma future directrice de thèse, Denise François. Après la soutenance, comme de coutume, ce fut le « pot », et nous avons tout de suite sympathisé.
Repose en paix, cher Jean !
Hugues Saint-Fort