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Relire ou découvrir Léonard Sainville

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Relire ou découvrir Léonard Sainville

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   Dans la rubrique "Romanciers martiniquais du XXe siècle oubliés", Léonard SAINVILLE figure en bonne place aux côtés de César PULVAR, Marie-Magdeleine CARBET, Irmine ROMANETTE, Mayotte CAPECIA, Raphaël TARDON ou encore Clément RICHER. Qui, quelle institution, se décideront à prendre en charge tout ce patrimoine qui dort désormais dans les archives et s'emploiera à les faire connaître aux générations d'aujourd'hui ? Pourtant, au coût dérisoire de republication des livres grâce aux nouvelles techniques d'impression, ce ne serait pas la mer à boire. Seule la volonté et une certaine vision de ce que doit être la culture livresque en Martinique fait défaut. Force est de reconnaître qu'au pays de CESAIRE, FANON, ZOBEL ou GLISSANT, on fait nettement moins bien pour le livre qu'en Guadeloupe ou en Guyane. Et moins qu'en Haïti aussi  pour ne s'en tenir qu'à l'aire franco-créolophone !

   Léonard SAINVILLE (1910-1977), historien de formation devenu romancier, mériterait pourtant d'être redécouvert. Il soutient, en effet, une thèse de doctorat en histoire, en 1970, sur "La Condition des Noirs aux Antilles françaises de 1830 à 1850" avant de publier les ouvrages ci-après chez l'éditeur Présence Africaine, sauf le tout premier :
 
   . Victor Schoelcher (1804-1893) (1950).
 
   . Au fond du bourg (1964).
 
   . Anthologie de la littérature négro-africaine (1963).
 
   . Dominique, nègre esclave (1978)
 
   SAINVILLE vit à une époque où le culte de l'abolitionniste Victor SCHOELCHER est très fort et il écrira à propos de ce dernier :
   "Schoelcher est le premier antiraciste conséquent, entier, absolu; Il va fouiller dans tous les traités d'histoire, de géographie, d'ethnographie, pour réfuter les soi-disant "sommités" les plus "contestées" qui prônent l'inégalité des races".
   L'œuvre romanesque de Sainville est fortement marquée par sa formation d'origine, l'histoire, et s'il n'écrit pas des romans historiques à proprement parler, il s'inspire de cette dernière comme dans Dominique, nègre esclave (1978) dont il déclare que la genèse se trouve dans "le compte-rendu de la session des assises de la Basse-Terre pour le mois de février 1832", notamment l'histoire d'Azaïs, chef marron coupable ou accusé de meurtre. Entre parenthèses, il est rarissime qu'un romancier martiniquais situe son récit en Guadeloupe et l'inverse est tout aussi vrai. A part donc L. SAINVILLE, il n'y a guère que Raphaël CONFIANT a en avoir fait de même avec son roman, L'Archet du colonel (1998), consacré à Louis DELGRES et à la révolution anti-esclavagiste en Guadeloupe.
    SAINVILLE, dans la préface de son roman, explique ainsi sa démarche :
   "Voici la genèse de ce roman, elle m'a conduit au récit de la vie de Dominique, récit tel que les données fournies par la documentation historique et les traditions écrites et orales, pouvaient les faire imaginer. (...) Authentique également le cadre où se meut l'action, et pas un instant, les nécessités de la créations romanesques ne viennent bousculer la réalité intrinsèque des proncipaux faits à travers lesquels se déroule l'intrigue."

   Marxiste convaincu à une époque où le marxisme-léninisme, dans sa version soviétique, semblait être l'avenir de l'humanité, L. SAINVILLE récuse les philosophies idéalistes et les sagesses orientales comme celle du célèbre KRISHNAMURTI :

   "Quand, du plan purement métaphysique ou métapsychique, où il peut encore sembler triompher assez souvent (mais encore faudrait-il l’amener à une discussion moins lâche) nous passons aux questions proprement sociales, le marxiste que je suis découvre sans plaisir que Krishnamurti a négligé de s’informer et qu’il peut, avec le plus grand aplomb, avancer les affirmations les plus invraisemblablement désarmantes. « Bravo Krishnamurti — peuvent s’écrier ceux qui, malgré lui, n’en sont pas moins des privilégiés — vous ne nous inquiétez nullement, et avec vous on peut dormir tranquilles ! »

   On peut donc le ranger dans le "réalisme socialiste", cette école littéraire dominante dans le monde soviétique tout au long du XXe siècle, école qui subordonnait le littéraire au politique et exigeait de l'écrivain qu'il mît sa plume au service des "masses populaires" et de la Révolution. On ne peut pas dire qu'elle ait permis l'éclosion de chef d'œuvres et un roman comme Au fond du bourg de L. SAINVILLE en porte les stigmates. Ce qui a permis à l'universitaire français Jacques CORZANI, auteur d'une monumentale histoire de la littérature des Antilles-Guyanes françaises, en 1978, aux éditions DESORMEAUX, de tailler en pièce, non sans raison, le romancier martiniquais :

   "Il peut arriver aussi, et c'est doublement regrettable, qu'un auteur sérieux...méconnaisse néanmoins à son tour l'exigence fondamentale de l'œuvre d'art. C'est le cas de Léonard Sainville, auteur d'un "roman" prétendument réaliste : Au fond du bourg, récit trop fidèle d'une grève de coupeurs de cannes à la Martinique en 1950 au cours de laquelle l'usinier Guy de Fabrique trouva la mort. Dès l'introduction, l'écrivain proclame son objectif : plaider pour l'autonomie de gestion de son île. Son ouvrage est une tribune et, manifestement, les problèmes propres à la création artistique ne le tourmentent guère. Nous avons droit sur plus de deux cent pages au récit chronologique de la grève, avec en prime les aventures et mésaventures amoureuses du couple que forment Richar Lorinot et sa femme métropolitaine. Tous les détails sont exacts et vrais, tellement vrais que l'ensemble manque totalement de vie."

   La charge est féroce, mais elle est justifiée. Cela signifie-t-il pour autant que L. SAINVILLE doit demeurer dans les poubelles de l'histoire littéraire antillaise et que nous faisons bien de ne plus le lire ? Aucunement ! Il s'est sans doute fourvoyé dans le "réalisme socialiste" mais le projet littéraire qu'il décline dès 1935 ne saurait être récusé :

   "Une littérature d'Amérique française, si elle veut être géniale, ne peut avoir pour objet que d'étudier ce peuple, son tempérament, ses mœurs et ses coutumes, son travail et ses luttes."

   Autrement dit tout comme CESAIRE, ZOBEL, GLISSANT et leurs successeurs, il tourne résolument le dos à l'auto-exotisme, autrement appelé "doudouisme", qui sévissait dans la littérature antillais francophone avec ses ciels bleus, sa mer diaphane, ses colibris et ses belles "doudous". Ne serait-ce que pour cette seule raison, l'œuvre de L. SAINVILLE mériterait d'être rééditée...


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