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Relire ou découvrir Daniel Boukman

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Relire ou découvrir Daniel Boukman

Relire ou découvrir Daniel Boukman

   S'il a choisi comme nom de plume celui du chef rebelle et "oungan" (prêtre vaudou) de la Saint-Domingue coloniale, organisateur de la célèbre cérémonie de Bois-Caïman en 1791, le fameux BOUKMAN ("book-man", l'homme livre parce qu'il était très probablement un esclave musulman), Daniel BLERALD ne l'a pas fait par pure forfanterie. Il a, en effet, fait partie des rarissimes appelés antillais à refuser d'aller combattre en Algérie et donc à déserter l'armée française pour se rendre au Maroc, dans une base de l'ALN (Armée de Libération Nationale) algérienne. Tout comme un autre poète, guadeloupéen lui, Sony RUPAIRE ainsi que l'universitaire, également guadeloupéen, Roland THESAUROS, sans oublier évidemment Guy CABORT-MASSON, Martiniquais diplômé de l'Ecole de St-Cyr et militaire de carrière. Cette guerre atroce qui fit 1 million de morts du côté algérien et dura 7 ans (1954-62) aura aussi permis à un autre grand Martiniquais de s'illustrer, le psychiatre Frantz FANON dont tout un chacun connaît la trajectoire fulgurante (il mourra à 36 ans seulement).

   Daniel BOUKMAN (né en 1936), titulaire d'une licence de lettres classiques obtenue à La Sorbonne, où il a fait ses études de 1954 à 1960, avant son appel par l'armée française, vivra une vingtaine d'années en Algérie où il enseignera dans un collège de Boufarik, commune de la wilaya (département) de Blida où se trouve le célèbre hôpital psychiatrique dans lequel exerça FANON. Longtemps membre du conseil de direction de la Cinémathèque d'Alger, la plus importante du continent africain, il trouvera d'abord sa vocation littéraire dans le théâtre. Un théâtre proche du fameux Bread and Puppett Theater des années 70 mais aussi de la comedia dell'arte italienne et surtout de la saynète créole. L'écriture de BOUKMAN est certes politique, mais elle n'entretient aucun rapport avec le "réalisme socialiste" en vigueur dans les pays communistes de cette époque où le monde était divisé en trois (Pays capitalistes, pays communistes, Tiers-monde), conception littéraire qui veut que tout art se mette au service du combat pour la venue de "la dictature du prolétariat" sans trop se préoccuper des questions stylistiques.

   Sa première pièce, Chants pour hâter la mort du temps des Orphées, ou Madinina île esclave, fait écho au titre que le philosophe français Jean-Paul SARTRE a donné à sa préface de de l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de Senghor (1948). Si ORPHEE, ce personnage mythique de la Grèce antique fut un musicien de très grand talent auquel Apollon fit don d'une lyre à sept cordes, on reste perplexe devant un tel choix pour qualifier la première génération d'écrivains d'Afrique noire et des Antilles. En effet, celui-ci se rend aux enfers afin de chercher son épouse EURYDICE décédée d'une morsure de serpent et parvient à convaincre CHARON et surtout HADES, gardien des enfers, de le laisser ramener son épouse dans le monde des vivants. HADES accepte mais à la condition que pendant tout le trajet de retour, APOLLON ne se retourne jamais et ne le fasse que quand EURYDICE sera arrivée en plein jour. Il accepte, mais juste avant d'arriver au but, il se retourne quand même pour voir si elle le suit et là, patatras ! Il perd EURYDICE pour toujours. Donc si l'on comprend bien, aux yeux de SARTRE, les René MARAN, SENGHOR, CESAIRE et autre DAMAS seraient des ORPHEE noirs qui descendraient dans les enfers de l'Histoire pour y retrouver l'identité perdue des peuples noirs afin de la ramener à la vie, sauf que dans le mythe grec ça se termine par un échec !!! Mais toujours est-il que nos auteurs prient cela pour un compliment de même que le milieu littéraire. ORPHEE noir devint dès lors synonyme de "guide des peuples noirs".

   C'est ce que Daniel BOUKMAN entend critiquer avec férocité et humour dans sa pièce. Tout le monde comprit immédiatement qu'il visait Aimé CESAIRE que l'on avait peu entendu durant la guerre d'Algérie et qui avait refusé de préfacer"Les Damnés de la terre" de Frantz FANON lequel dut se tourner vers le même SARTRE qui accepta. Dans une interview accordée à Gerry L'ETANG pour le site POTOMITAN, Boukman, le jeune insoumis qu'il était à l'époque déclare ceci :

  "En octobre 1961 (j’étais alors étudiant à l’université de la Sorbonne à Paris), je reçois un document m’intimant l’ordre de rejoindre la caserne de Vincennes pour y accomplir le service militaire français.

En Algérie, la France, du moins son gouvernement d’alors, poursuivait une guerre coloniale. Répondre à cette convocation, c’était accepter de revêtir l’uniforme militaire français et d’être expédié en Algérie occupée afin de participer à la guerre faite au peuple de ce pays.

Pour rester fidèle aux idéaux anticolonialistes de l’étudiant (martiniquais) que j’étais, j’ai choisi l’insoumission... Pris en charge par une organisation clandestine antillo-algérienne, j’ai quitté la France pour le Maroc où nous (2 Martiniquais, 3 Guadeloupéens) avons suivi un stage de formation  militaire... En juillet 1962,  trois d’entre nous ont rejoint l’Algérie libérée.

    Ces circonstances exceptionnelles ont fondamentalement modelé la vie du jeune que j’étais, et m’ont amené à écrire, en Algérie indépendante, Orphée nègre et Les voix des sirènes, pièceéditées en 1967 et de nouveau publiées aujourd’hui par les éditions L’Harmattan.
        Cela sans nul doute enclenché l’écriture d’Orphée nègre, la critique des limites de la négritude, amorcée en 1952 par Frantz Fanon dans Peau noire masques blancs et par Jean-Paul Sartre dans Orphée noir, préface (en 1948) de l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache. "

   BOUKMAN va ensuite publier plusieurs pièces à connotation anticolonialiste comme "Ventres creux, ventres pleins", "Les Négriers" toutes deux en 1971 ou encore "Et Jusqu'à la dernière pulsation de nos veines" en 1976, pièces qui seront jouées en Algérie et par la suite en France au moment où il va militer dans l'émigration antillaise et être l'un des principaux animateurs de la radio-libre appelée RADIO-MANGO qui jouera un rôle important dans la désaliénation des enfants du BUMIDOM. Très sensible à la cause du peuple palestinien, il publiera en 2005 "La Véritable histoire de Hourya" qui sera traduite en arabe. Puis, après son périple algérien d'une vingtaine d'années, puis son périple dans l'Hexagone d'une dizaine d'années, BOUKMAN rentrera définitivement dans son pays natal, la Martinique, en  et amorcera son tournant créolisant. Désormais, il fera du créole sa principale langue d'écriture tout en continuant à publier des pièces bilingues et deviendra l'un des plus ardents défenseurs de cette langue aux côtés de Jean BERNABE, Raphaël CONFIANT, Robert DAMOISEAU ou Gerry L'ETANG. On trouvera ci-après la liste de ses publications.

   En dépit de cet impressionnant parcours humain, politique et littéraire, Daniel BOUKMAN demeure encore largement méconnu du grand public, sa très intéressante émission en créole sur Radio MARTINIQUE 1è passant malheureusement trop tôt le matin et son œuvre étant peu mise à l'honneur par les médias. Il a tout même reçu en 1992 le Prix Carbet de la Caraïbe pour l'ensemble de son œuvre. Oeuvre que les générations futures découvriront et sauront sans nul doute apprécier.

 

OEUVRES DE DANIEL BOUKMAN (français) :

·  Les Négriers, P.J. Oswald, 1971; L’Harmattan, 1978

·  Ventres pleins, ventres creux, P. J. Oswald, 1971 ; L’Harmattan, 1980, 1992, 1998

·  Et jusqu'à la dernière pulsation de nos veines, L’Harmattan, 1976, 1993, 1998

·  Délivrans ! une farce sérieuse, L’Harmattan, 1995

·  La véridique histoire de Hourya, New Legend Éditions, 2001

·  Frantz Fanon. Traces d'une vie exemplaire, L'Harmattan, 2016.

·  OEUVRES BILINGUES :

·  Délivrans! éditions L’Harmattan, 1995.

·  Es lakou dò? ou une petite lampe dans la nuit, 'Editions Harmattan, 2005.

·  A paraître janvier 2006: Agoulouland suivi de Les 10 doigts des 2 mains, éditions Harmattan

·  OEUVRES EN CREOLE :

·  Anba fey, éditions Radio Mango, 1987.

·  Pawol bwa sek, éditions Zandoli, 1992.

·  Chiktay pawol, éditions Mabouya, 1994.

·  Zizinng pawol, éditions Mabouya, 1998.


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