Pensée pour une Créole
David CHASSAGNE
Aude-Emmanuelle Hoareau a été inhumée hier après une cérémonie religieuse à l'église de la Délivrance. Avec elle, ainsi que nous l'avons écrit dans le Jir de lundi, une représentante de la jeune pensée créole disparaît brutalement. Nous nous souviendrons qu'elle nous notamment avait accordé, à deux reprises, une longue interview.
D'abord en 2010 à la sortie de son ouvrage "Concepts pour une pensée créole" puis en 2014 autour de la notion de liberté, dans un dossier spécial sur le 20 décembre. À chaque fois, une forme de timidité tranchait avec un look assumé. Une réserve et un recul qu'elle appliquait à l'objet de sa recherche, la créolité - qu'elle définissait avec un "k" - et ses méandres, sachant pertinemment que, dans les milieux intellectuels, ces notions provoquaient immanquablement du remous. De la "batarsité", elle écrivait que "le sentiment oscille entre la honte de n'être rien de défini, rien de bien noble, et la fierté d'être tout, d'abriter en, soi des richesses inépuisables". "Quand on parle de métissage, écrivait-elle aussi, le penseur rationaliste frémit. Obscur et confus, le métissage est sur le plan intellectuel tout le contraire de la clarté et de la distinction cartésiennes".
Quand au "maronaz", "c'est donc un état d'esprit qui consiste à refuser cette liberté tronquée dont l'homme réunionnais a hérité le fardeau. C'est la lutte permanente pour la vraie liberté". La philosophe avait alors à peine plus de 30 ans et tentait de mettre en mots ce qui s'agitait - et s'agite encore - autour de la constitution d'une identité réunionnaise. Forcément, elle y trouva des détracteurs mais la voie qu'elle empruntait devra être suivie pour continuer d'asseoir une conscience d'être Créole à La Réunion.
Nous la remercions ici pour avoir, à chaque fois que nous le lui avons demandé, pris tout le temps qu'il fallait pour expliciter simplement ce qui ne pouvait s'énoncer que de manière complexe.
David Chassagne