La Réunion polluée au glyphosate
Véronique TOURNIER (in "Journal de l'Ile de la Réunion")
Fin novembre, l'herbicide le plus vendu au monde a obtenu un sursis de cinq ans que le président Macron veut ramener à trois. Mais qu'en est-il à La Réunion ? Grâce aux données de la douane, de la Daaf et de plusieurs observatoires institutionnels, impartiaux dans le débat sur l'utilisation
de ce produit, voici les chiffres du glyphosate à La Réunion.
La définition du glyphosate est rarement donnée : il s'agit d'un désherbant produit par la firme américaine Monsanto. Cet herbicide est utilisé couplé à un tensioactif pour être plus efficace. En France, à l'heure actuelle, près de 700 produits à base de cet herbicide sont autorisés. Au fil des années, son efficacité, sa rentabilité et son prix l'ont transformé en star de désherbage jus-qu'en mai 2015. Le Centre international de recherche sur le cancer, un organisme de l'organisation mondiale de la santé (OMS) a qualifié le glyphosate comme «cancérigène probable». Cette affirmation anime un débat autour du produit. La commis- sion européenne s'en est emparée et a autorisé fin novembre le renouvellement de cet herbicide faute de preuve qu'il « provoque réellement des cancers ». Un sursis de cinq années lui a donc été accordé et le président Macron s'est engagé à le faire disparaître dans les trois années à venir sur le territoire français. Un souhait qui va alors faire baisser les importations des produits phytosanitaires à La Réunion. Selon les chiffres transmis par la douane, la Réunion reste le plus grand Dom importateur d'insecticides, fongicides, herbicides et autres antirongeurs.
360g de matière active par litre
En 2016, 3102 tonnes de ces produits estampillées à la nomenclature « SH4 3808 » sont entrées sur le territoire réunionnais contre 2 998 en Guadeloupe et 1 528 en Martinique et La Réunion ne fait pas figure d'exception dans l'utilisation de ces produits puisque ces trois départements ultra-marins ne cessent de voir leur importation augmenter et ce, depuis 2014. En mettant le nez dans les tableaux Excel parfois « surréalistes » transmis par Nicolas Barraud du service de presse de la douane française, la Réunion utilise en premier des insecticides (1289 tonnes en 2016), des herbicides (348 tonnes en 2016) et des fongicides (136 tonnes en 2016). Parmi les trois principaux produits phytosanitaires, seule l'importation des herbicides a considérablement baissé passant de 554 829 kilos en 2014 à 348 038 kilos en 2016. «Je ne pense pas que la Réunion soit un mauvais élève, tient à préciser Ludovic Maillary, chef de projet Ecophyto à la Daaf (Direction de l'Alimentation, de l'Agricul-ture et de la Forêt) de La Réu-nion. Quand on regarde les données brutes du glyphosate, il n'y a pas de baisse de la consommation ou de la vente, mais il n'y a pas non plus d'augmentation. Si on fait des moyennes triennales, il y a une tendance à la baisse. C'est positif. » Selon les tableaux transmis par le chef de service de l'alimentation (SALIM) de la Daaf, Loise De Valicourt, les ventes de glyphosate en quantité de substance active (kg) en 2016 s'élève au total a 50 129 kilos sur les 198 298 kilos de l'ensemble des produits phytosanitaires vendus sur l'île par des distributeurs. «Au moins 75% du glyphosate vendus est utilisé par des professionnels, estime la chef de service du SALIM. Le problème est que les produits avec la mention «EAJ (emploi autorisé jardin» peuvent aussi être utilisés par des non professionnels, mais également par des professionnels, sachant que la concentration en glyphosate est souvent la même.» Il est alors très difficile de croiser ces chiffres donnés par la DAAF et ceux des douanes car si on sait le nombre d'importation, on ne sait pas vraiment combien sont réellement vendus puisque les chiffres donnés par la DAAF concernent la quantité de substance active. « Par exemple, 1 litre de « Round up », il y a 360g de matière active, explique Ludovic Maillary à la DAAF. On ne peut pas nier les chiffres. Ils ne sont pas parfaits. On baisse un petit peu la consommation de produits phytosanitaires à la Réunion. Avec une étude plus approfondie, on voit que la part des produits de biocontrôle augmente. On continue à traiter, mais on prend des produits moins impactant pour la santé et l'environnement. C'est difficile de faire changer les habitudes, les pratiques. C'est un travail sur du long terme. » Si Emmanuel Macron a réduit à trois ans, au lieu des cinq autorisés par la commission européenne, le sursis pour le renouvellement du glyphosate, le président français a précisé « qu'il ne serait plus autorisé en France qu'à partir du moment où les alternatives seront trouvées ».
Vers une mutation de l'agriculture
A la demande du gouvernement (et de quatre ministères : agriculture, transition écologique, santé et recherche), l'Inra (institut nationale pour la recherche agronomique) a produit en un mois un rapport intitulé «Usages et alternatives au glyphosate dans l'agriculture française », un rapport publié le 1er décembre. Ce rapport consacre une part importante aux Domet à la Réunion reprenant ainsi les chiffres de la Daaf ainsi que les alternatives fiables du projet Dephy (voir par ailleurs). En conclusion et de manière générale, le très controversé herbicide de Monsanto peut disparaître des champs de canne et autres cultures, mais il faudra que les agriculteurs s'adaptent. « Il y a une véritable prise de conscience et on a les outils, des organismes qui ont des compétences, explique Ludovic Maillary à la Daaf. Il n'y a pas de recettes magiques, les agriculteurs doivent changer leur habitude et puis il n'y a pas que le glyphosate, ce sont tous les produits qui sont impactant pour la santé dont nous devons baisser la consommation. »
Dossier : Véronique Tournier vtournier@jir.fr