Aux Antilles, Les Saintes ont aussi leurs algues toxiques
La pépite des Antilles françaises est confrontée au fléau des sargasses qui s’échouent sur les plages. Ces algues, nocives pour la santé lorsqu’elles se décomposent, produisent du sulfure d’hydrogène, un gaz semblable à celui produit par les marées vertes sur nos côtes. Mais sur Terre-de-Haut, l’une des neuf îles de l’archipel des Saintes, les sites de stockage éloignés de la population manquent.
« Ici, il n’y a rien à voir et ça pue ! » Devant l’anse de Pompierre, à Terre-de-Haut, une touriste vient d’arrêter sa voiturette électrique devant le portail de la plus belle plage des Saintes. Quinze secondes lui ont suffi pour établir le diagnostic et reprendre le volant de son bolide. À 200 mètres du site prestigieux, Zamour Garçon, la restauratrice du Salako, se morfond. Il est midi et seuls deux touristes sont installés à table. « Il y a encore quelques semaines, chaque jour, au déjeuner, je servais entre 40 et 60 clients en terrasse. » Depuis l’arrivée en masse des sargasses, la plage est défigurée et l’odeur pestilentielle.
Les scooters et voiturettes passent devant chez elle mais ne s’arrêtent plus. « Ici, nous nous sentons abandonnés. Les restos du bourg ne se sentent pas concernés, mes clients vont chez eux, soupire-t-elle. Je vais sans doute devoir licencier mon personnel. J’ai demandé des aides à la Région, des arrangements avec l’Urssaf. Ils n’ont rien voulu savoir. »
Catastrophe économique et écologique
La baie, située dans une zone peu peuplée, ne semble pas être la priorité pour la municipalité. « À l’anse Marigot, ils n’ont pas les problèmes d’odeurs. Les sargasses sont ramassées quotidiennement par les employés municipaux, parce qu’ils y habitent, lance-t-elle, désabusée. Le maire n’a pas les moyens financiers, il a hérité d’une commune endettée jusqu’au cou », tempère cependant la restauratrice, qui se plaint de maux de tête, d’yeux qui brûlent. « Chez moi, tout est fermé à cause des odeurs. Je fais brûler de l’encens et des bougies parfumées. » En plus de ses soucis de santé, les gaz dégagés par la fermentation des sargasses ont endommagé sa télé et sa machine à laver.« Les composants électroniques s’oxydent et créent des pannes. »
Depuis 2011, la quantité de sargasses ne cesse de croître. 2015 avait déjà été catastrophique pour l’économie. Pierre Colbose, un riverain, est fataliste : « C’est la nature, détraquée par l’homme. » Mais il aimerait qu’on trouve des solutions à ces échouages d’algues. « Et si, de cette catastrophe écologique, on pouvait en tirer un engrais ? Cette nouvelle vague a commencé à arriver en août 2017. Pour en réduire l’abondance, on pourrait peut-être positionner des barrages flottants aux endroits stratégiques, avance-t-il. Mais on manque de main-d’œuvre, d’outillage et d’argent. Il y a un mois, une cinquantaine de bénévoles sont venus nettoyer la plage avec leurs râteaux, pelles et brouettes. Ils n’avaient ni gants, ni masques. » Pierre Colbose, qui a donné de son temps lors de l’ouragan Maria, le 19 septembre 2017, regrette le « manque de motivation et d’intérêt des jeunes, et de la population en général, face à ce fléau. Les habitants, pour la plupart, préfèrent ignorer les algues en faisant le choix d’aller sur les plages non infestées. »
Urgence sanitaire
À la seule pharmacie de l’île, Gilles Laplaige ne décolère pas :« Le problème sanitaire est énorme. Les sargasses dégagent du H2S, du sulfure d’hydrogène. C’est très irritant pour les yeux, le nez, les poumons, les bronches. On recense des cas d’hypertension et d’asthme. Je vends de plus en plus de Ventoline, des antihypertenseurs. » Pour le pharmacien, c’est la putréfaction des algues qui nuit fortement à la santé de la population.« Le danger est certain et leur stockage doit se faire à l’écart des vents portants. Sur l’îlet Cabrit, inhabitée, ou dans l’ancienne décharge du Chameau », suggère-t-il.
« Après le cyclone Maria, à part la Sécurité civile qui a fait du bon travail, on a dû se démerder tout seul. Ça continue. Les Saintes se meurent et la France s’en fout », lance Gilles Laplaige, désabusé.
À 6 800 km de là, la métropole, empêtrée dans les problèmes sociaux et les soucis de transports ferroviaires, doit aussi penser à l’archipel des Saintes. Chaque année, 300 000 touristes viennent visiter la pépite des Antilles française, qui fait toujours partie du club très fermé des plus belles baies du monde… mais jusqu’à quand ?