L’ÉDITORIALISTE RAJOUTE UNE COUCHE
Marie-Hélène Léotin
« Le débat est ouvert », dit Jean-Marc Party dans son éditorial publié sur le net le 25 mai 2018. Je crois que ce débat est ouvert depuis longtemps et que nous avons un devoir de clarifier les concepts que nous utilisons.
Jean-Marc Party parle d’inexactitudes à propos du 22 mai, « qu’on n’est pas à un jour près », que nous célébrons l’abolition le 22 mai alors que la date d’abolition est le 23 mai, et patati et patata... Nous avons choisi la date de l’insurrection (22 mai) pour marquer la fin du système ignoble sous lequel vivaient nos ancêtres, tout comme les Français ont choisi le 14 juillet (jour d’une insurrection à Paris) comme fête nationale. Pourtant, le 14 juillet n’est pas l’événement le plus important qui se produit lors de la Révolution Française. Tout le monde d’ailleurs pense à la prise de la Bastille alors que les hommes de la IIIe République pensaient à la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790.
Jean-Marc Party continue à sévir, car il ne faut pas parler de révolution pour ne pas faire peur aux gens. Il y a des concepts qui gênent encore. Il pose la question : 22 mai : révolte ? Insurrection ? Révolution ?
Le 22 mai est une révolte, la n’ième des esclaves , une insurrection armée. Mais elle débouche sur quelque chose. Il y a un processus révolutionnaire qui trouve son aboutissement, son finisman ce jour-là.
L’éditorialiste définit le terme « révolution » en employant les mots justes: une transformation de la société. Mais il conclut , de façon assez surprenante : « ce qui n’est pas le cas en Martinique ». Il y a bien transformation de la société et du système économique en 1848. Une révolution est un long processus, qui ne se fait pas en un jour (la Révolution Française a duré 10 ans) et qui aboutit à un changement de société. La Martinique passe bien d’une société esclavagiste fondée sur le travail servile à une société capitaliste basée sur le salariat. Les classes sociales ont changé.
Le dernier concept à clarifier porte sur les objectifs des insurgés. Pour un esclave, son objectif premier est naturellement la liberté. Le mot « Liberté » est d’ailleurs associé au mot « République ». Lorsque les esclaves, dans les quelques lettres que nous avons, prononçaient le mot « indépendance », il s’agissait du mot « liberté ». À Saint-Domingue aussi (future Haïti), le soulèvement des esclaves de la plaine du Nord en 1791 a comme objectif la liberté, la fin du système esclavagiste. Ce n’est qu’en cours de route, avec l’évolution des événements, après la défaite des Guadeloupéens en 1802, que les combattants de Saint-Domingue se voient obligés de continuer la lutte jusqu’à l’indépendance de la République d’Haïti.
La discipline qui s’appelle l’histoire a ses exigences. La construction du discours historique demande de la rigueur. Le travail des historiens ne saurait être démoli en quelques minutes par un éditorialiste.