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Jean E. Samson nous parle de DO KRE I S, la revue des cultures créoles

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Culture

Jean E. Samson nous parle de DO KRE I S, la revue des cultures créoles

Jean E. Samson nous parle de DO KRE I S, la revue des cultures créoles

C’est à la bibliothèque Justin Lhérisson, où se réunissaient dans une ambiance de grande effervescence intellectuelle les membres de l’Atelier Marcel Gilbert, qu’est née L’Association Vagues Littéraires. Celle-ci porte depuis bientôt trois ans la quinzaine du livre « Vagues Littéraires », organisée dans différentes villes du pays pour la promotion de la lecture. Elle a lancé, en octobre dernier, le premier numéro de DO KRE I S, une revue qui se veut être le lieu de rencontre et d’échanges entre les cultures créoles, une véritable plateforme réunissant des contributions multiples: articles de recherches, portraits et entretiens, traductions et notes de lectures. Du 9 janvier au 10 février, Jean Erian Samson, directeur de la revue DO KRE I S, est en résidence à la Maison des auteurs des Francophonies en Limousin. Il nous parle plus amplement de sa résidence et des nouvelles perspectives de la Revue DO KRE I S.

Jean Erian Samson, vous êtes le directeur de publication de la revue DO KRE I S, un nom assez imagé qui rappelle notre traditionnel jeu d’osselets, pouvez-vous nous présenter rapidement cette revue et les objectifs qu’elle se fixe?

DO KRE I S est une revue haïtienne bilingue (créole/français) nouvellement créée en Haïti. Elle s’adresse à des chercheurs et à des lecteurs qui s’intéressent aux langues et aux cultures créoles à travers le monde. C’est une revue annuelle dont chaque numéro s’organise autour d’un thème. Nous souhaitons y établir un rapport intime entre de nombreuses disciplines artistiques en tant que canaux offrant aux lecteurs la possibilité de découvrir et d’apprécier la diversité culturelle des communautés créolophones.

La revue DO KRE I S rassemble autant de créations littéraires et artistiques que de réflexions critiques sur ces instruments de cohésion sociale que sont l’art, la littérature et la langue. Ainsi DO KRE I S propose, par son contenu, de mettre en lumière des facettes du monde créolophone à travers le temps et l’espace, et d’offrir une plateforme de publication et de diffusion à une nouvelle génération de créateurs créolophones. La revue se revendique notamment comme un outil de référence pour tous ceux et celles qui désirent entreprendre des travaux de recherche sur les langues et les cultures créoles.

Vous êtes actuellement en France pour une résidence dans la maison des écrivains des Francophonies en Limousin, en quoi consiste cette résidence? Et qu’est-ce que vous y fabriquez ?

Je suis venu à Limoges principalement pour me documenter, et écrire en vue du prochain numéro de la revue DO KRE I S. À la Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges existe un pôle riche de documents sur les langues et les cultures créoles. Ce pôle est constitué de plusieurs fonds, dont le Fonds René Depestre et un fonds haïtien. Je me suis pas mal documenté sur plusieurs thématiques qui nous intéressent dans la revue, particulièrement celle de la créolisation. Ces recherches vont me permettre d’enrichir mes productions sur cette thématique.

Je profite par ailleurs de cette résidence pour rencontrer d’autres auteurs (africains, haïtiens, etc.), pour discuter avec des maisons de distributions spécialisées notamment dans la distribution de revues. En effet, nous misons sur une distribution de la revue en Europe pour atteindre les pays de l’Océan Indien (La Réunion, Les Seychelles, Madagascar, l’Île Maurice etc.) Ce passage en France me permet également d’organiser en Europe plusieurs activités dans le cadre de la promotion et de la distribution de la revue. Ces activités se tiendront à Limoges, à Paris, à Genève et à Bordeaux. Elles seront animées par plusieurs membres du comité de la revue. Je veux parler d'Hélène Bléhaut, Junior Borgella, Sadrac Charles, Darline Gilles et moi.

L’Association Vagues Littéraires a déjà réalisé trois éditions de quinzaines du livre à travers plusieurs villes du pays, comment s’est opérée cette transition entre les quinzaines du livre et la présentation de la revue? Êtes-vous satisfait de l’accueil du public?

Nous organisons la Quinzaine du livre Vagues Littéraires depuis 2015. C’est un événement estival qui vise à offrir aux jeunes du pays une ambiance propice leur permettant d’avoir un contact continu avec les livres. Elle octroie au public le privilège de découvrir des auteurs haïtiens et étrangers, dont la plupart ont été publiés par les Éditions des Vagues ou des maisons d’édition partenaires. Durant une quinzaine de jours, nous investissons certains lieux culturels de plusieurs départements du pays pour proposer une série d’activités artistiques et littéraires (conférences-débats, causeries, rencontres, ateliers d’écriture et de lecture, performances, ventes-signatures, etc.)

Ces expériences et constats nous ont permis de découvrir pas mal de manques, et nous ont poussés à préparer, à la fin de l’année 2016, la naissance de la revue DO KRE I S. Nous voulions non seulement promouvoir les langues et les cultures créoles à travers le monde, mais aussi proposer une plateforme qui permettrait à beaucoup plus de jeunes d’exposer leurs créations artistiques et littéraires.

Il faut dire que la revue en plus de la Rencontre des cultures créoles vient compliquer énormément notre situation. En effet, le coût d’organisation de toutes ces activités est très élevé. Or, nous ne disposons pas de moyens financiers assez importants pour les entreprendre toutes. Cela ne veut pas dire que nous allons abandonner la Quinzaine du livre. Mais nous pensons plutôt faire appel aux différents mécènes et associations culturelles pour qu’elles nous apportent leur soutien dans l’organisation de cette activité.

Vous avez sorti votre premier numéro en octobre 2017, mois de célébration de la langue et de la culture créoles, comment voyez-vous l’avenir du créole en regard de la fondation de l’Akademi Kreyòl Ayisyen (AKA)? Est ce que selon vous l’académie peut participer véritablement à la dynamisation de la langue créole?

Diverses raisons ont motivé le choix du mois d’octobre pour la sortie de  la revue. Premièrement parce que c’est le mois de la célébration de la langue et des cultures créoles, comme vous le dites justement, et la revue s’inscrit  dans  ce cadre-là.  Deuxièmement, car nous pensons qu’Haïti a un rôle important à jouer dans l’avenir du Créole. Étant donné que nous avons subi une forte créolisation de part notre histoire coloniale, et aussi parce que nous possédons la plus forte population dont le Créole est la langue maternelle. Nous voulons accentuer notre légitimité vis-à-vis de la promotion du Créole. Ceci étant dit, cela me permet de répondre à la question sur l’Akademi Kreyòl Ayisyen (AKA).  Sincèrement, nous pensons que la fondation de l’AKA est très louable dans la mesure où elle permet de définir un cadre spécifique, et constitue un espace de  légitimation de la langue créole. Pour cela, nous pensons que l’AKA ne devrait pas être un espace fermé aux seuls Haïtiens, mais un espace ouvert à tous les chercheurs, notamment ceux venant d'espaces créolophones. Nous pensons néanmoins qu’il faut que l’AKA ait des moyens  à sa disposition pour que cela puisse se faire. Il faudrait donc que les autorités politiques puissent les accompagner dans cette dynamique. Malheureusement, nous ne croyons pas que cela fait partie des priorités de nos politiques. Il suffit par exemple de voir comme ils décident de faire du Français la langue officielle du CARICOM. Or, nous sommes les seuls à “parler Français” dans cette organisation. Ils pourraient donc en profiter pour placer le Créole ayisyen comme deuxième langue, ce qui serait un pas très important dans l’avenir de cette langue.  Pour conclure, la fondation de l’AKA est certes importante, mais sans le soutien des autorités politiques, nous pensons que son avenir s’annonce très sombre, même si nous constatons la volonté de ses membres de faire un travail effectif.

Dans la présentation de la revue, on sent subrepticement une certaine filiation, un certain lien entre l’idée de la revue et le mouvement de la créolité des années 1980, est ce que vous vous reconnaissez dans les théories de Chamoiseau, Confiant et Bernabé?

Votre remarque est tout à fait juste. Nous nous inscrivons en quelque sorte dans ces paradigmes, sans pour autant être trop attachés à leurs théories sur la Créolité. Dans l’Éloge à la Créolité les auteurs revendiquent un nouveau cadre de pensée pour l’identité et la création antillaise ; ils proposent cette identité propre à la Caraïbe, comme modèle au monde. Moi je suis plutôt du côté de Glissant, qui préfère utiliser la Créolisation pour définir ce mélange, et qui pense aussi que cette créolisation observée dans la Caraïbe ne peut pas être un modèle identitaire pour le monde. Parce que, d’après lui, la Créolisation est devenue totale, elle affecte déjà le monde entier. En plus « elle est imprévisible, elle ne saurait s’inscrire dans des absolus identitaires » (Glissant, 1997). Par contre, il a fallu cette perception de la Créolité à cette époque, ce qui a servi tout un mouvement de redynamisation, et de production à l’intérieur de ces cultures, comme il a fallu le mouvement de la Négritude vers les années 1930 qui a joué un grand rôle dans la décolonisation de l’Afrique.

Nous ne devons pas croire à la racine unique, à la suprématie des valeurs, à la pureté de la race ou de la langue parce que nous sommes nés de la Créolisation. Cette dernière nous paraît le mouvement le plus abouti pour répondre aux enjeux de notre époque et aux objectifs de notre revue. En effet, notre histoire de Créoles est forgée de rencontres, de partages, de mixages de plusieurs peuples et cultures (européens, africains, amérindiens, etc.). C'est en conciliant tous ces éléments que nous arrivons à construire nos identités. Ainsi DO KRE I S se veut être cette plateforme de transmission au monde de cette expérience de créolisation. Car nous croyons comme Glissant que la créolisation est l'avenir de notre époque.

Quand on lit la revue Do KRE I S, on voit que vous avez mis du cœur à l’ouvrage pour réunir tous ces artistes, tous ces contributeurs d’horizons divers autour de ce projet. Cependant, il y a une question dont on ne peut faire l’économie, la revue des cultures créoles est écrite majoritairement en français. Comment pouvez-expliquer cela?

Nous ne nous inscrivons pas dans un mouvement nationaliste identitaire qui consiste à valoriser une langue ou une identité créole au détriment d’une autre. Notre revue est avant tout un espace qui promeut la créolisation ce qui nous permet d'éviter l’absolu linguistique. Et on l’a bien annoncé dans l’éditorial du premier numéro de la revue, s’il existe une vision du monde créole, s’il existe une esthétique créole : s’il existe une vérité intérieure, une conscience commune créole, nous pouvons l’exprimer dans la langue qui nous convient le mieux, puisque les langues n’ont pas de peuple, ce sont les patries de tous. […]Les cultures sont beaucoup plus définies par leurs langages que par leurs langues. Bien sûr, il est important d’encourager des productions en langues créoles, car c’est ce qui va permettre à ces langues de survivre et d’évoluer. En Haïti, on a tendance à me dire que c’est problématique qu’une revue Créole soit écrite en français. Je réponds que la Créolisation ne se résume pas aux langues créoles ou au créole haïtien. Même si nous espérons avoir beaucoup plus de productions consistantes en Créole.

La revue est une revue bilingue (créoles/français). On peut même dire multilingue, car il n’y pas qu’une seule langue créole, mais « des » langues créoles. C’est aussi un choix éditorial, sans doute parce qu’Haïti est bilingue. On aurait pu recevoir des contributions dans toutes les langues car les cultures créoles ont toutes les langues du monde pour s’exprimer.

Donc nous privilégions les contributions qui répondent à notre ligne éditoriale, et peu importe la langue dans laquelle elles sont écrites. Notre premier numéro est majoritairement en français, parce que les contributions en français qu’on avait reçues étaient beaucoup plus solides, et répondaient à notre ligne éditoriale. Cependant, nous réitérons notre désir d’avoir plus de textes écrits en Créole.

Quelles sont les perspectives de la revue DO KRE IS?

La revue continue à renforcer les liens avec tous les pays du monde qui ont déjà subi cette créolisation et qui continuent à la vivre. Mais nous tenons aussi à promouvoir cette créolisation, ce mélange de cultures, ce mixage, cette diversité culturelle, pour un changement du monde.

Le prochain numéro est prévu pour octobre 2018 avec la thématique Miwa / Miroirs. L’appel à contribution est lancé. Vous trouverez toutes les informations sur notre page Facebook et sur notre site www.associationvagueslitteraires.org. On attend vos contributions.

Propos recueillis par Stephane SAINTIL

© Lokah. Productions

 

 


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