YAN MONTPLAISIR : "VOUS AVEZ DOMINE CE PAYS PENDANT 3 SIECLES, C'EST FINI !"
Lundi, 23 Décembre, 2019 - 17:02
Telle est la phrase attribuée au chef d'entreprise et conseiller exécutif Yan MONPLAISIR.
Cela dans un conflit qui l'oppose au gérant d'un bar-restaurant se trouvant à l'hôtel Batelière (Schoelcher), ce dernier étant la propriété du groupe Monplaisir. Ledit gérant appartient ou appartiendrait à la caste békée laquelle est beaucoup plus diversifiée qu'on ne le croit généralement. Il y a, en effet, les "gros Békés" dont on entend parler régulièrement dans les médias et dont la fortune est spectaculairement avérée. Il y a ensuite les moyens Békés qu'on connaît moins et qui ne se signalent qu'épisodiquement. Enfin, il y a les petits Békés, dit "Béké-griyav" en créole qui ne possèdent qu'un nom et qui, en général, sont les employés des deux sous-groupes précédents.
ll semblerait que le gérant du bar-restaurant en question appartienne au deuxième sous-groupe. Son patronyme d'ailleurs n'est pas immédiatement identifié par le grand public comme étant béké, beaucoup l'attribuant à des Mulâtres. Ah, les comiques subtilités de la pigmentocratie coloniale martiniquaise ! Elles ont fait les beaux jours de bien des anthropologues et sociologues étrangers, notamment la Québécoise KOVATTS-BEAUDOUX ou encore le Français Michel LEIRIS.
Toujours est-il que grand, moyen ou petit béké, la sortie attribuée à Y. MONPLAISIR vise directement le groupe béké.
On oublie, dans ce pays sans mémoire, la lutte féroce entre Békés et Mulâtres tout au long du 19è siècle pour le leadership de la Martinique. Il suffit pourtant de lire Le préjugé de race aux Antilles (1880) du Béké pierrotain G. SOUQUET-BASIEGE. Lutte qui n'a commencé à s'apaiser, mais pas à s'achever, qu'au début du 20è siècle lorsque le député mulâtre Joseph LAGROSSILIERE avait lancé sa fameuse politique dite du "bout de chemin avec l'Usine". Autrement dit une sorte de "TOUS CREOLES" avant la lettre, mais qui excluait la masse noire laquelle ne servait que de chair à canon (lors des grèves rituelles du début de la récolte de la canne à sucre sanguinairement réprimées par la soldatesque coloniale) ou de vivier électoral.
C'est contre ce système que s'est vaillamment battu le Part Communiste Martiniquais jusqu'à la fin de la "société d'habitation" dans les années 70 du siècle dernier et son remplacement par l'actuelle "économie de comptoir". En fait, un deal avait été trouvé entre Békés et Mulâtres : aux premiers le pouvoir économique ; aux seconds, le pouvoir politique. Et tout le monde était content ! Sauf les Nègres évidemment et avec raison. D'où l'apparition, au cours de ces mêmes années 70, des premiers mouvements et partis politiques nationalistes, indépendantistes ou souverainistes.
Depuis, c'est le statu quo avec tout de même un phénomène majeur fort peu analysé par nos penseurs : la disparition de la frontière entre Mulâtres et Nègres suite à l'apparition d'une petite bourgeoisie noire qui s'est alliée à la bourgeoisie mulâtre. Au 19è siècle, en effet, la Martinique était divisée en 3 : Békés--Mulâtres--Nègres. Au 20è et 21è il n'y en a plus que deux : Békés--"Nègres". Les guillemets à "Nègres" indiquant que ce groupe englobe certes les Noirs, majoritaires, mais aussi les Mulâtres, les Chabens, les Indiens, les Chinois et les Syriens. On retrouve toutes ces "ethnies", minoritaires, dans presque tous nos partis politiques et pas qu'à des postes subalternes !
Il faut donc interpréter la sortie de MONPLAISIR comme une énième émanation du conflit entre Békés et "Nègres". Conflit multiforme puisqu'il peut aussi bien prendre la forme de noiristes qui bloquent les supermarchés des premiers que de bourgeois "nègres" qui protestent contre la domination tri-séculaire du groupe béké. En termes marxisants (si le marxisme a encore de la pertinence dans un monde globalisé dans lequel le "prolétariat" a été remplacé par le "précariat"), on pourrait dire que le conflit Békés-"Nègres" est la contradiction principale tandis que le conflit Noiristes-Bourgeoisie "Nègre" est la contradiction secondaire. A l'appui de cette interprétation le fait que les Noiristes n'ont jamais bloqué un supermarché appartenant à un "Nègre" et pourtant il y en a un de très important et très achalandé qui prétend être "ma ville à moi". Ce non-blocage est-il fait délibérément, a-t-il été décidé par les responsables de ce mouvement de blocage ? Difficile à dire ! Car l'argument principal utilisé__"les Békés nous ont empoisonné avec le chlordécone !"__n'est pas très solide puisque jusqu'à preuve du contraire l'eau du robinet qui est arrivée, durant 30 ans, dans les villas des Békés, l'eau avec laquelle ceux-ci se sont baignés et leurs servantes fait la cuisine est exactement la même que celle qu'ont utilisé les "Nègres". Il n'a pas eu un système d'eau non-chlordéconée pour les Békés et un système d'eau chlordéconée pour le reste de la population ! Donc les Békés ont été empoisonnés (se sont auto-empoisonnés EUX AUSSI) pendant plus de 30 ans. Sauf à imaginer que pendant tout ce temps, des hélicoptères ont largué nuitamment des tonnes de packs d'eau d'Evian ou de Vittel sur le Cap Est.
Certains Békés, bien connus, ont délibérément importé et fait utiliser dans leurs plantations le chlordécone et sont donc coupables de cet empoisonnement, mais certainement pas la totalité du groupe béké. Ils doivent donc rendre des comptes devantla justice, chose que se garde bien de souligner la commission parlementaire sur le chlordécone présidée par Serge LETCHIMY, commission, il est vrai, aux pouvoirs tronqués.
Il faut prendre conscience qu'en Martinique, il y a, en effet, d'un côté, une levée de boucliers OUVERTE contre le groupe béké émanant des bloqueurs de supermarchés et de l'autre, une levée de boucliers ANBAFEY (mais qui s'exprime de temps à autre comme dans le conflit de la Batelière) émanant de la bourgeoisie "nègre". N'importe quel observateur extérieur à la Martinique verrait que si ces deux "leveurs de boucliers" parvenaient à trouver un terrain d'entente (même provisoire), cela permettrait à la QUESTION NATIONALE MARTINIQUAISE de faire des avancées significatives. En tout cas demettreles Békés au pas. Rien de nouveau sous le soleil ! Ce genre d'alliance tactique s'est produit dans maints pays à travers le monde. Nous n'allons quand même pas réinventer l'eau chaude. D'ailleurs l'alliance électorale ou, plus exactement, le pacte de gestion de 2015 entre le GRAN SANBLE et BA PEYI-A AN CHANS en a été un tout petit début de commencement.
Car le vrai problème, le seul vrai problème est l'accession de la Martinique à la souveraineté nationale. Hélas, enferrés, les uns dans "Maman la France/Papa l'Europe" et les autres dans "Mère-Afrique", nous, les "Nègres" martiniquais nous nous montrons incapables de distinguer les contradictions principales des contradictions secondaires, oubliant qu'une goutte de café (380.000 habitants) dans un hectolitre de lait (67 millions d'habitants) va fatalement finir par disparaître. Nous continuerons donc à, pour les uns, de vitupérer le samedi devant des supermarchés ou pour les autres, à dénoncer épisodiquement et quand notre petit intérêt personnel est en jeu la "domination de trois siècles" comme l'a fait MONPLAISIR.
Le Béké (gros, moyen ou petit), lui, il s'en contrefout. Tristes tropiques...