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Lapoutroie : un premier roman dans les eaux troubles de l’âme créole

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Lapoutroie : un premier roman dans les eaux troubles de l’âme créole

Par Jean Daniel KIENTZ
Lapoutroie : un premier roman dans les eaux troubles de l’âme créole

Gilles Petitdemange arbore la tête glabre du baroudeur, cultivant visiblement un goût prononcé pour l’altérité, pour ne pas dire l’exotisme, terme à double tranchant. De ses séjours sur l’île d’Hispaniola, à Haïti en particulier, le Lapoutroyen a tiré une fiction de plus de 400 pages difficilement classable. Peu importe finalement le tiroir dans lequel le consigner, ce premier livre baptisé « Karacoli  » embarque le lecteur dès les premiers paragraphes dans un voyage protéiforme se déroulant quasi exclusivement dans les arrondissements d’un pays à genou.

L’auteur commence par bâtir solidement les fondations d’une improbable histoire aussi baroque qu’une église espagnole, dressant avec une certaine délectation une galerie de personnages attachants que l’on croirait tout droit sortis d’un Corto Maltese. Aventuriers certainement, idéalistes sûrement, Lola (journaliste sexy), Fernando (militant basque), Tom (humanitaire déboussolé) et bien autres hommes et femmes empreints d’une belle humanité (sur) nagent dans les eaux troubles d’un monde déconfit, tout en caressant (bien naïvement mais avec une immense sincérité) l’espoir de faire table rase du présent.

Premier voyage en Haïti en 2005

L’Histoire les rattrape violemment, leur histoire individuelle également dans laquelle s’entremêle la Politique, la grande et la petite, celles des idéaux taillés en pièces par la réalité d’un monde sans pitié (pour les braves). « Mon premier voyage à Haïti remonte à 2005 », commence par répondre Gilles Petitdemange depuis le salon de sa ferme welche envahi par l’affiche de « Che », la bio filmée façon documentaire de Steven Soderbergh. L’envie d’aider, de servir à quelque chose, envahit peu à peu le sexagénaire, ancien cadre de l’industrie ; elle se concrétise il y a une quinzaine d’années donc par la construction d’une bibliothèque adossée à une école, par l’entremise de l’association Helpo Haïti animée avec son complice du canton welche Jeannot Defrasne. La « récolte » d’argent se poursuit pour gonfler une caisse solidaire spéciale Haïti, pays le plus démuni devant ou derrière Madagascar : purification de l’eau, captage de sources, projets éducatifs et de pharmacie semi-communautaire.

« Dessiner une porte sur un mur… »

Gilles Petitdemange n’est pas un inconnu dans la vallée de Kaysersberg. Né en 1955 dans la ferme welche qu’il occupe toujours sur les hauteurs de Lapoutroie, il commence une carrière d’employé dans une grande fabrique, du côté de Kunheim, dans laquelle il travaillera 40 ans. Parallèlement à son travail, il s’engage au sein du conseil municipal de Lapoutroie, aux côtés d’Hubert Haenel, soit quatre mandats électifs dont deux mandats d’adjoint. Féru d’arts martiaux, il préside durant une trentaine d’années l’association sportive encadrant ces disciplines orientales. Il est par ailleurs professeur de Tai-chi. Il multiplie les voyages, çà et là. D’ailleurs, « Karacoli », n’a-t-il pas été écrit partiellement ou entièrement à Saint-Louis (Sénégal), Santiago de Cuba, Madrid, Port-au-Prince et Jérémie, de 2017 à février 2020 comme précisé à la fin de l’ouvrage ? Les mots, il joue avec depuis belle lurette. Son compagnon de route, « son mentor », se nomme Jean-Marie Radiguet, poète maudit, une belle âme disparue prématurément dans une certaine indifférence. C’est avec ce grand monsieur qu’il anima en tandem donc, le Printemps des poètes, relayant à qui veut bien l’entendre la passion des mots. Gilles Petitdemange cite Jack London, Nicolas Bouvier, Christian Bobin, lequel a eu cette lumineuse formule : « Écrire, c’est dessiner une porte sur un mur et l’ouvrir ».

Jean-Claude Fignolé, une belle âme

Depuis le séisme du 12 janvier 2010 à 16 h 53 minutes et 10 secondes d’une brutalité inégalable (230 000 morts), Gilles Petitdemange ne chôme pas, imagine-t-on. Cette île qui a arraché vaillamment son indépendance le 1er janvier 1804 lui offre en retour une énergie incommensurable transformée habilement en carburant littéraire. « Haïti, le terreau de mon histoire », résume l’auteur qui multiplie préalablement de revigorantes rencontres, comme celle avec Jean-Claude Fignolé, écrivain haïtien engagé politiquement dans le redressement de sa contrée. On imagine qu’en 15 ans d’allers-retours entre le canton welche et les Caraïbes, Gilles Petitdemange a collectionné les entretiens, ceux qui ajoutent de la couleur à un imaginaire ouvert au partage avec de futurs lecteurs. Porté par « une galerie de personnages » haute en couleur, évoluant au sein de la réalité sociale d’un pays en ruine qu’il commence à connaître, Gilles Petitdemange va lentement faire mûrir l’idée d’écrire « un thriller humanitaire » dans lequel il projette ses propres fantasmes. « Sorte de roman reportage », « Karacoli », titre emprunté à l’univers du caféier, met en scène « le cheminement labyrinthique » de héros pas si ordinaires que ça, unissant leur soif d’idéal autour d’un « projet révolutionnaire pacifique », la « révolution des Flamboyants » comme baptisé poétiquement par l’auteur. En quête de « lumière » mais aussi de partage égalitaire, de bonheur collectif et in fine d’une société pacifiée, la belle équipe incarne « l’espoir pour le peuple haïtien », une population incroyablement maltraitée mais capable d’une « résilience impressionnante ».

Recettes en bonus

Cela dit, au-delà du lourd passif historique de ce petit pays, de la réalité sociale et politique, du vaudou, pierre angulaire de la société haïtienne, Gilles Petitdemange souligne que « son » histoire » demeure avant tout une fiction pensée avec une liberté totale, celle de l’écrivain maîtrisant parfaitement les codes de la littérature. Il ne montre finalement pas tellement sa désespérance pour ce « petit caillou », sauf à la toute fin de son livre lorsque la Révolution des Flamboyants, prête à surgir aux quatre coins de l’île, se heurte à deux plaques tectoniques meurtrières, tirant un trait sur la grande ambition. Truffé de dialogues en créole, de détails que seul un amoureux du pays peut emmagasiner, « Karacoli » invite à une plongée en apnée au cœur de la culture créole, avec en prime une série de bonus dont la recette du rhum sour ; une touche de légèreté en fin de « conte » dans un monde gravement malade.

LIRE Karacoli. Une histoire Haïtienne, par Gilles Petitdemange, 516 pages. Edité par Librinova (www.librinova.com) ; 21,90 euros.

Post-scriptum: 
Gilles Petitdemange a tiré de ses voyages humanitaires en Haïti un premier roman d’aventure(s) qui se lit « cul sec ». Photo L’Alsace /Jean-Daniel Kientz

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