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Le Président-Martyr

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Le Président-Martyr

Patricia Camilien
Le Président-Martyr

Au cours de la nuit du 6 au 7 juillet 2021, le Président Jovenel Moïse a été assassiné chez lui, par un commando armé. De sa garde présidentielle, aucune trace. Selon les premiers éléments de l’enquête, il aurait  appelé son chef de la sécurité , Civil Jean Aguel, pour l’informer de l’attaque (voix du journaliste Valéry Numa rapportant les grandes lignes du constat légal). Il aura attendu un secours qui jamais n’arrivera. Hormis sa femme – gravement blessée lors de l’attaque -et ses deux enfants – qui avaient réussi à se cacher – le président de la République est mort seul. Sans protection aucune. Comme un citoyen haïtien.

Depuis, je ne peux m’empêcher d’imaginer la terreur qui a dû être la sienne et surtout le sentiment de trahison qui l’aura traversé. Car, il a bien dû se rendre compte que personne ne faisait le moindre effort pour le sauver. Personne. Il était seul. À la merci d’hommes armés. Sans recours aucun. À se fier à la vidéo amateur circulant sur les réseaux sociaux cette nuit-là, il aura suffi d’évoquer le Blan– DEA Operation! Everybody stand down! – pour que les policiers chargés de le protéger baissent les armes. Une évocation. Sans plus.

Dans un message audio publié sur son compte Twitter, Martine Moïse, la veuve du Président Moïse, explique comment des “mercenaires” lui ont arraché l’homme qui partageait sa vie depuis 25 ans. Elle a surtout mis en garde contre d’autres mercenaires, auteurs intellectuels du magnicide, qui veulent désormais détruire les idées de son mari. Le message audio, qui aurait été enregistré quelques heures avant qu’elle ne subisse une intervention chirurgicale ce samedi 10 juillet, promet un très prochain Facebook Live où elle s’adressera à ses frères et sœurs du peuple haïtien:

Les mercenaires ayant tué son mari seraient les 28 hommes – deux Américains d’origine haïtienne et 26 Colombiens – membres du commando présenté par la PNH comme étant responsable de la froide exécution du Président. Les informations qui nous arrivent font la part belle à la désinformation mais voici un peu ce que nous savons des sources officielles:

  • Les deux Haïtiano-Américains – James Solages et Joseph Vincent – maintiennent qu’ils avaient été employés comme traducteurs; la mission initiale ayant été, selon M. Solages, d’arrêter le Président et non de le tuer. Le scénario qu’il présente est celui de la tentative de coup d’État du 7 février 2021 où il s’agissait là aussi de mandat secret autorisation la mise aux arrêts du Président. Le 7 février 2021, Dimitri Hérard, le chef de l’Unité de sécurité générale du Palais national (USGPN), avait réussi à déjouer la conspiration. Ce 7 juillet 2021, il était aux abonnés absents.
  • Des 26 Colombiens, 18 ont été capturés, 3 tués et 5 seraient encore en cavale … Selon le ministre colombien de la défense, il s’agit de membres retraités de l’armée colombienne – formés par les États-Unis d’Amérique dans le cadre du plan Colombie et qui, depuis la dissolution des Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC) se retrouvent sans emploi; ce qui en font des candidats idéaux – bien entraînés, désœuvrés et donc peu chers– pour le mercenariat international- une industrie dont le chiffre d’affaires dépasser la centaine de milliards de dollars par année. Installés depuis mai en Haïti, ils se réunissaient dans un hôtel huppé de Pétion-Ville – une information fournie par le juge Destin mais uniquement relevée par le New York Times jusqu’ici -pour planifier la mission.

Des théories (du complot), dans les infosphères haïtienne et colombienne, veulent que ce groupe ait été pris au piège par des membres de la garde présidentielle et, accessoirement, du gouvernement, qui ont tué le président et auraient décidé de faire porter le chapeau aux 28 étrangers. Les “évidences” avancées tiendraient principalement à l’incroyable efficacité d’une police qui peinait à récupérer les corps de 4 des siens tombés au Village de Dieu mais réussit à arrêter en moins de 24 heures, et sans aucun blessé dans ses rangs, 17 mercenaires hautement entraînés qui venaient d’assassiner un Président qu’elle n’avait pas su protéger; ce serait la plus claire indication que l’on nous ment.

Ces suspicions sont accompagnées d’une vague d’infox sur les réseaux sociaux et sur WhatsApp en particulier, où, chaque jour, une nouvelle rumeur domine:

  • le 7 juillet, Martine Moïse avait succombé à ses blessures et avait rejoint son mari. Arrivée à l’hôpital, elle avait rendu son dernier souffle; le gouvernement tardait à l’annoncer mais le couple présidentiel n’était plus. La rumeur se répandit si vite qu’elle a été reprise par des médias africains. Elle s’arrêta lorsqu’arrivèrent les images de l’avion-ambulance transportant la Première Dame atterrissant à Miami.
  • le 8 juillet, les mercenaires arrêtés étaient des médecins cubains – présents en Haïti dans le cadre de la coopération internationale – et victimes innocentes d’une population ignorante et/ou d’un gouvernement cherchant à se couvrir. Le fait que les Cubains soient généralement très connus dans les communautés où ils interviennent – ce qui réduit considérablement les risques de méprise – n’empêcha pas à la rumeur de circuler. Le témoignage audio d’une dame certifiant qu’un chirurgien cubain ayant soigné sa mère était parmi les personnes arrêtées fit le tour de la toile; bientôt les témoignages se multiplièrent … la vie de plusieurs Cubains était en danger. Les rumeurs s’arrêtèrent lorsque la communauté cubaine précisa qu’elle allait bien.
  • le 9 juillet, le complot gouvernemental était certain. Martine Moïse elle-même aurait affirmé que, contrairement, à la version officielle, les mercenaires leur auraient sauvé la vie à elle et à ses enfants. L’on attendait incessamment qu’elle parle pour dénoncer la cabale et faire tomber le gouvernement. Elle parla en effet, au moyen d’un message audio, qui paraitra sur un média peu respectable – Tripotay Lakay – avant d’être publié par le Secrétaire d’État à la communication puis le compte Twitter de la première dame, le lendemain, 10 juillet, à 8:57 du matin.
  • le 10 juillet, c’est le message audio de la première dame qui est mis en doute. C’est un faux. Elle n’est pas assez souffrante. Pas assez triste. Pas assez veuve éplorée. Ce n’est pas elle ou alors elle l’a fait sous pression. Ou alors, tout cela est une vaste supercherie et Jovenel Moïse est en vie, cachée ailleurs, pour éviter la prison post-présidence. Quelle preuve avons-nous qu’il soit mort, quelqu’un a-t-il vu le corps?… Cette nuit, vers 11h du soir, c’était fait. Sur WhatsApp et bientôt Twitter, 4 photos du cadavre ensanglanté de Jovenel Moïse commencèrent à faire le tour des groupes WhatsApp puis des autres réseaux …

C’est ce dernier développement qui me fait sortir du silence que j’observais jusqu’ici, le temps d’avoir les faits et de pouvoir subséquemment me faire une idée plus claire de la monumentale tragédie que nous sommes en train de vivre: celle d’un peuple qui voit son Président assassiné par des étrangers ayant des complicités locales jusque, il semblerait, chez les alliés de celui-ci; celle d’un peuple qui voit se poindre le spectre d’une nouvelle intervention étrangère sous prétexte d’une responsabilité de le protéger qui ne réussit souvent qu’à alourdir ses maux; celle d’un peuple qui assiste impuissant au bal cocasse et disgracieux de politiciens pressés de s’accaparer du pouvoir et qui, à aucun moment – qu’ils se présentent comme membres de partis politiques ou de la “société civile” – ne semblent intéressés à ce que ce peuple– dont ils se targuent de vouloir diriger la destinée – veut.

J’avais beau apprécier le fait que, jusque-là, la nouvelle tradition de publier les photos des cadavres des victimes, avait épargné le président le République, je l’attendais cette photo. Après tout, l’ancien Président René Préval n’y avait pas échappé. Pour Jovenel Moïse, il n’était que d’attendre. Cela a pris 5 jours mais elles sont arrivées. Quatre terribles photos trahissant une rare violence et semblant accréditer la thèse selon laquelle le Président aurait été torturé avant d’être assassiné. Aujourd’hui, les rumeurs tourneront autour d’un Président-Martyr brutalement sacrifié parce que, pour reprendre sa femme, il voulait des routes, de l’électricité, de l’eau… pour son peuple. On débattra du martyre qu’a subi celui qui a voulu tenir tête aux oligarques, aux membres de son parti, aux membres de son administration, à l’Ambassade américaine même pour notre bien à tous.

D’une journée de rumeurs à l’autre, les détails iront s’estompant. On n’arrivera plus trop à distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux. On oubliera de poser les bonnes questions – probablement par peur d’en avoir les réponses:

  • Que s’est-il passé avec la sécurité du Président?
  • Qui a contracté les mercenaires ?
  • Quel est cet hôtel huppé de Pétion-Ville où les mercenaires se sont rencontrés pendant au moins un mois ?
  • Qui a orchestré ce second “coup d’État” et, surtout a-t-il été dévié ou a-t-il, au contraire, réussi?

De toute façon, nous n’avons pas le temps. La communauté internationale veut des élections en septembre. Le Dr Réginald Boulos vient de s’offrir les services d’un lobbyiste auprès du Congrès américain pour l’en dissuader. Nos institutions étant en pleine déliquescence et nos trois Pouvoirs dysfonctionnels, il propose, de nouveau, un viol collectif de la Constitution, pour accomplir sa vision d’une nouvelle Haïti. Celle-ci passerait par une présidence intérimaire assumée par le président de ce qui reste du Sénat -1/3 – et un gouvernement dirigé par le Dr Ariel Henry, le Premier ministre nommé par le Président Moïse, un jour avant son assassinat. Monsieur Henry – qui n’avait pas encore été installé et avait encore moins un Cabinet – avait aussi été immédiatement rejeté par des partis de l’opposition. Il insiste néanmoins : le Premier ministre c’est lui et le Dr Claude Joseph, son Ministre des Affaires Etrangères.

Naturellement, la Constitution de 1987 est évoquée mais elle exige une Assemblée Nationale (art.102) – là où il n’y a qu’un morceau de Sénat qui lui-même ne peut prendre des résolutions qu’à la majorité de ses membres (art.116), soient 16 Sénateurs, là où il n’y en a plus que 10 dont 2 qui se sont gardés de signer la résolution. Il revient donc – comme il est de coutume– à l’Administration américaine de décider du viol qu’elle préfère; d’autant que les deux camps fondent leurs réclamations sur l’article 149 de la Constitution amendée:

  • celui de Claude Joseph avec qui ils traitent déjà et qu’ils considèrent comme Premier ministre intérimaire ou
  • celui de Réginald Boulos dont les lobbyistes auront énormément de travail à faire pour convaincre un Joe Biden qui, s’il ne nous traite pas de shithole comme son prédécesseur, ne semble guère convaincu de notre importance pour les intérêts américains.

Pour archives, j’ai regroupé dans un dossier sur Google Drive, des vidéos, audios, photos, captures d’écran et autres images circulant sur WhatsApp depuis la nuit du 6 au 7 juillet 2021. À noter que ces éléments ne sont pas traités et sont archivés tels quels, par un processus automatique; les avertissements de rigueur s’appliquent donc. Le dossier sera régulièrement mis à jour. Pour le consulter, cliquez ci-dessous:

 


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