ROCK SAKAY : L’EVENEMENT LITTERAIRE REUNIONNAIS
by isabellekichenin http://marcelle.mondoblog.org/
Emmanuel Genvrin, fondateur de la mythique troupe de théâtre réunionnaise Vollard, publie son premier roman, Rock Sakay, à paraître chez Gallimard le 1er septembre. On a lu ce road-movie initiatique et on a suivi avec délectation Jimi, adolescent fan d’Hendrix, promener ses rêves, son amour passionné pour Janis et ses désillusions entre Madagascar, La Réunion et l’Hexagone. Rock Sakay sera sans conteste l’événement littéraire de la rentrée réunionnaise, et on s’en réjouit.
Ceux qui en Martinique suivaient, au mitan des 80's, "Les Rencontres Théatrâles" du CMAC se souviennent encore du Théatre Vollard, cette troupe réunionnaise un peu déjantée qui apportait une inspiration et une fraîcheur créoles sur la scène du Foyer de Bellevue...
Trois bonnes raisons de lire ce roman vif et coloré.
1/ Pour sa narration très visuelle
Les Réunionnais connaissent les talents de dramaturge d’Emmanuel Genvrin. À travers les pièces qu’il a écrites pour le théâtre Vollard, il a su créer un véritable théâtre populaire réunionnais en croquant petites et grande histoires (Lepervenche, Votez Ubu colonial, Baudelaire au paradis, Séga Tremblad…).
On retrouve chez Genvrin romancier la force du Genvrin de théâtre : celle de tenir son public en haleine par une intrigue bien ficelée et une narration rondement menée. Ni introspection, ni longues descriptions, encore moins de figures de styles en quête de « prouesses » littéraires, dans Rock Sakay. Emmanuel Genvrin va droit au but. Il nous raconte une histoire et sait fort bien nous faire savourer le plaisir de tourner les pages. Consistants, ses personnages prennent corps dans l’action. Et on croirait les voir, comme on croirait déambuler à Tananarive, au Port, à Saint-Leu, à Paris…
Emmanuel Genvrin signe un roman visuel comme on les aime, un roman populaire, au sens noble du terme, comme en signait Garcia Marquez, comme en signe aujourd’hui Elena Ferrante. Et une adaptation cinématographique ne nous étonnerait pas.
2/ Pour mourir moins bête
On l’avoue : on a découvert la Sakay avec ce roman.
« La Sakay – prononcez « sakaille », piment en malgache – est la dernière aventure coloniale française (1952-1977), soit l’installation d’agriculteurs « Petits Blancs » réunionnais sur les plateaux du moyen-ouest de Madagascar. En dépit d’une authentique réussite – la ferme d’élevage de porcs sera la troisième du monde -, le gouvernement malgache mettra fin à l’expérience et expulsera les colons. Cet échec restera une plaie béante dans l’imaginaire réunionnais, comparable à celle des Pieds noirs d’Algérie. Eux s’appelleront « Pieds Rouges » à cause du sol de latérite », explique Emmanuel Genvrin dans sa présentation adressée par l’éditeur aux médias.
Le héros du roman, Jimi, adolescent noir de la Sakay, traverse cette époque troublée. Par amour pour Janis, sakayenne comme lui, il multiplie les voyages entre La Réunion, Madagascar et l’Hexagone, entre 1977 et 1994.
Comme il le faisait très bien au théâtre, Emmanuel Genvrin maille habilement petites et grande histoires. Les amours de Jimi, ses rêves de rock star, flirtent avec les soubresauts politiques de Madagascar, nous laissent deviner l’évolution de la société réunionnaise, dévoilent la vie des Réunionnais candidats à l’exil hexagonal à l’époque du Bumidom (bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer), évoquent le milieu artistique et intellectuel parisien, celui des gauchistes…
On referme Rock Sakay avec un peu de regret, celui de mettre un terme à ce très bon moment de lecture, mais aussi avec la satisfaction d’en avoir appris un peu sur notre zone océan Indien.
3/ Pour y retrouver Danyèl Waro, les « cases à VAT », Jeumon …
À la fin du roman, on s’est surpris à relire les premières pages pour retrouver ce personnage, copain de lycée de Jimi au Tampon (ville du Sud de La Réunion), qu’on découvrira plus tard être le chanteur de maloya Danyèl Waro. On a savouré les anecdotes autour de l’engagement de cet artiste, tout comme on a apprécié les clins d’œil à La Réunion des années 80 et 90. Un instant, on a respiré le vent de liberté et de fête qui semblait rendre la vie si légère à l’époque. On a revécu les fiestas des « cases à VAT », ces grandes maisons Saint-Gilloises (station balnéaire de La Réunion) louées à plusieurs par des VAT (volontaires à l’aide technique). On a cru reconnaître la villa de la Pointe-au-sel, dont « on disait que le batteur Brancard et le guitariste Mastane y avaient vécu en ménage avec des femmes zoreils, que le chanteur René Lacaille y passait souvent, que Peters, Zoun, Bigoun, Loy – du groupe Carroussel – y avaient répété ». On a lu avec une pointe d’émotion l’évocation de la grande fête organisée par le Théâtre Vollard à Jeumon, devenu aujourd’hui Cité des Arts à Saint-Denis, et ses mille bougies…
Bref, on vous recommande très chaudement la lecture de Rock Sakay et on se risque même à une confidence : on n’avait pas ressenti un tel plaisir à la lecture d’un roman réunionnais depuis L’Aimé d’Axel Gauvin.
Isabelle KICHENIN
Emmanuel Genvrin, Rock Sakay, Continents noirs Gallimard, sortie le 1er septembre 2016