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DESILLUSION D’UNE IMMIGREE HAÏTIENNE AU BRESIL

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DESILLUSION D’UNE IMMIGREE HAÏTIENNE AU BRESIL

par Pierre Michel JEAN http://lenouvelliste.com/
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La situation socio-politique désastreuse d’Haïti a forcé sœur Atilia et ses trois filles à immigrer au Brésil en février 2016. Après six mois, ses illusions d’une vie nouvelle au Brésil, face au chômage et à la crise économique, se sont transformées peu à peu en cauchemar. Déçue, elle nourrit l’ambition de revenir dans son pays natal. Elle exhorte les autorités haïtiennes à offrir d’autres perspectives aux jeunes afin que d’autres compatriotes ne soient, comme elle et ses filles, victimes de cette crise qui les a poussées à partir.

 

 

Un fait incontestable est que sœur Atilia, du haut de ses 55 ans, n’a pas le profil de l’immigrant haïtien classique. Commerçante aguerrie, lorsqu’elle a quitté, sa maison de Delmas pour le Brésil en février dernier ce n’est pas parce que le pain quotidien manquait à sa table. "Les parents veulent toujours le meilleur pour leurs enfants". C’est connu. Sœur Atilia n’en demandait pas moins pour ses filles. Toutes les trois en âge de travailler, elle voulait simplement leur offrir d’autres perspectives. Celles qu’elle n’avait pas eues, celles, qu’enlisée dans cette crise politique, Haïti ne peut leur offrir.

Calée dans sa chaise basse de sa cuisine, sœur Atilia fait le récit d’une Haïti carte postale. Ses souvenirs évoque son rentable commerce de « pèpè », sa maison de 14 pièces à petite place Cazeau et son enfance à Gros­Morne dans l’Artibonite. Inouï! On pourrait douter que c’est cette femme qui, six mois plus tôt, obligeât ces trois filles à quitter Port­au­Prince avec elle pour le Brésil. « Ce n’était pas mon rêve de quitter Haïti, je voulais tout simplement quelque chose de meilleur pour mes filles », avoue la femme dévote. «Haïti est magnifique et fragile à la fois. Pendant un temps j’ai même songé à aller habiter la République dominicaine », confie­t­elle.

Les trois filles n’avaient pas trop le choix. Fidèle à sa réputation de mère haïtienne, sœur Atilia savait comment se faire obéir. La plus âgée (30 ans) sans trop de résistance avait émis quelques réserves, sinon tout le monde voulait voir du pays. Le gris des bétons haïtiens devenait lourd et lassant.

Le sésame pour l’aventure brésilienne ne s’est pas obtenu sans peine. 650 dollars américains sont allés à un raquetteur qui ne livrerait au final aucun visa. Les quatre femmes ont dû batailler elles­mêmes au prix d’humiliations et d’une longue attente au consulat brésilien de Pétion­Ville. Quatre tickets pour le Brésil ont eu raison du container­shop de sœur Atilia et de son commerce. Argent de poche, appartement à São Paulo, bref des dépenses à venir qui feront, sur le départ, qu’elle louera sa maison de Petite Place Cazeau.

Le Brésil que découvrent sœur Atilia et ses filles en février 2016 est tout sauf un Canaan. À leur arrivée, le pays de la samba vit déjà depuis un moment une crise économique. Les entreprises ne recrutent plus, mais plutôt réduisent de leur personnel. La classe politique de son côté se préparait à affronter une procédure en destitution contre l’ex présidente Dilma Roussef. Les nouveaux immigrés haïtiens et africains qui arrivent au cours de cette période peinent à se faire une place dans la mégapole. Les bâtiments abandonnés sont squattés « Ocupaçao » par les plus précaires. Le Brésil se montre sur un autre jour, il ne donne plus envie.

Les trois premiers mois se sont déroulés sans heurt pour les quatre femmes. Mais quand l’argent vient à manquer le quatrième mois, elles comprennent enfin que la crise au Brésil est partie pour durer. Guaianazes, la banlieue de São Paulo où elles viennent de louer une maison plus petite, sœur Atilia et ses filles n’ont pas vu le soleil de la journée. De longues chaussettes et un grand manteau protègent la femme âgée des 14 degrés Celsius qu’il fait dehors. « Je suis trop vieille, je ne peux supporter la température de São Paulo... Je pensais qu’une fois au Brésil, mes filles et moi, que nous allions trouver du travail. Mais, ce n’est pas le cas. Ici, on dirait que tout est boqué », regrette­t­elle. « Les Haïtiens que je rencontre quotidiennement sont au chômage, la plupart des fois depuis plus d’un an».

À Missao Paz, une institution religieuse qui travaille avec les immigrés dans São Paulo, la tâche pour la benjamine de sœur Atilia est rude. Tous les mardis et jeudis, ce sont au moins 100 à 250 immigrés haïtiens et africains qui postulent pour une moyenne, ces jours­ci, de sept emplois par jour. Les immigrés angolais et mozambicains lusophones sont largement avantagés face aux compatriotes qui rechignent à apprendre la langue locale. Tout n’est pas perdu, mais les chances d’obtenir un emploi par l’entremise de cette institution sont minces pour les Haïtiens contrairement par le passé.

Certaines fois dans les lignes d’attente, ils laissent éclater leur colère, ce qui ne manque pas de créer des tensions entre les communautés. Sœur Atilia vit présentement de la solidarité des communautés brésiliennes de son église et de son quartier à Guaianazes. Grâce à leur générosité, elle et ses filles peuvent encore espérer avoir le gîte et le couvert. Cependant, les factures pour l’eau et pour l’électricité se paient toujours avec des jours de retard. « Les autorités haïtiennes doivent faire en sorte de donner aux jeunes d’autres perspectives pour qu’ils ne partent pas », confie la femme de 55 ans qui projette de rentrer en Haïti une fois qu’elle aura l’argent de quatre autres tickets.

Voilà, tout était partie d’une bonne intention, d’un amour de mère, d’un élan de cœur. 


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