Guyane, mourir de trop de France ?
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Depuis dix ans, en Guyane française, le suicide s’installe dans la jeunesse trop simplement qualifiée d’ « amérindienne » alors qu’elle est avant tout celle de peuples autochtones distincts. Les missions pour comprendre les raisons de cette hécatombe se succèdent … ajoutant l’idiotie d’une démarche intrusive au cataclysme d’un changement brutal de société. Un colloque au Sénat, avec la participation des organisations des peuples autochtones en Guyane, vient de faire le point sur la situation.
A Cayenne, à demi-mots, on reconnaît a minima 44 victimes en dix ans sur le Haut Maroni parmi trois peuples amérindiens vivant sur le bord de ce fleuve. Pour mémoire, la Guyane est bordée par deux fleuves enserrant 82 000 km2 de jungle amazonienne. Les 6 ethnies autochtones (environ 10 000 personnes au total) se répartissent sur chacun des deux fleuves, le Maroni et l’Oyapock, et sur la côte. Ce chiffre de suicides est sans doute plus élevé et impossible à vérifier (culture du secret face au suicide, impossibilité à vérifier les causes de mortalité, relations culturelles…), il est de toute façon entre 10 et 20 fois plus élevé que celui relevé dans l'Hexagone. Cette longue vague sans précédent de suicides des autochtones a alerté la métropole. En 2015, le Premier Ministre a demandé à Aline Archimbaud, sénatrice (EELV) de Seine Saint Denis, et à Marie-Anne Chapdelaine, députée (PS) d’Ile et Vilaine,de lui faire un rapport sur la situation des jeunes amérindiens en Guyane. On peut y lire : « Même si les statistiques ethniques sont interdites dans notre pays (…) la plupart des «suicides aboutis» et des tentatives de suicide concernent les trois peuples qui vivent sur le haut des grands fleuves, au Sud de la Guyane. Il s’agit des Wayampis qui vivent sur le Haut Oyapock, des Wayanas qui vivent sur le Haut Maroni, des Tékos présents sur les rives des deux fleuves. Les peuples amérindiens côtiers (Kali’ña, Palikur et Arawack) sont également concernés, mais à moindre échelle. » Le jeudi 30 novembre 2016, un an jour pour jour après la remise de ce rapport, la sénatrice Aline Archimbaud, usant de son droit de suite, a organisé un colloque au Sénat sur les « conditions de vie des peuples de Guyane car au sein de la République, il ne peut y avoir de territoires oubliés. »
Trop de missions
En ouverture des travaux, avec leurs mots et leur souffrance, les jeunes nous ont dépeint la dure réalité des suicides des jeunes amérindiens, avec un documentaire construit autour d’un rap, encore non diffusé officiellement. Sans doute les images de la corde dont ces jeunes savent si bien faire le nœud ne sont-elles pas politiquement correctes.
« L’état a mis douze ans à comprendre le problème - rappellent les différentes organisations regroupant les Amérindiens de Guyane - Il y a eu trop de constats, de missions, de médiations et trop peu d’engagements. Trop de gens passent, auxquels il faut que nous nous racontions…En 2007 nous faisions déjà les propositions : lutter contre les addictions et instaurer une gouvernance pluri-acteurs. Nous les retrouvons dans les points 2 et 4 du rapport, mais dix ans se sont écoulés. En 2012, nous proposions de créer nos propres services de santé, en associant nos pratiques médicales, nos savoirs. Des propositions que l’on retrouve aujourd’hui en points 24 et 25 du rapport. »
Succédant à cette ouverture sans langue de bois, la ministre des Outre-mer, Erika Bareights, a insisté sur le choc de civilisation déversant dans les années 70 « un progrès sans aucun lien avec une civilisation construite sur des siècles (…) Une modernité s’est rapprochée d’un coup et cela a posé des problèmes. Ce fût un choc culturel énorme qui a fait perdre des repères. Ce changement très dur n’a pas été forcément accompagné par un travail social à la hauteur, ce qui a augmenté l’ampleur des difficultés. Il y a une explication, nous devons travailler » . Ce faisant, elle reprend ce que dit le rapport Archambaud-Chapdelaine « La mission, à cette occasion, a pu s’apercevoir du grand trouble identitaire qui mine ces populations, et notamment les jeunes, tiraillés entre le monde dans lequel ont vécu leurs grands-parents et celui dans lequel, déjà, ils se meuvent avec plus d’aisance que leurs parents. Ce trouble est amplifié par un fort sentiment d’humiliation, lié aux jugements stigmatisants et aux commentaires désobligeants dont les Amérindiens sont régulièrement victimes. Et au fort sentiment de frustration et d’abandon, lié aux conditions très dégradées de l’accès au Droit et aux services publics les plus élémentaires, lesquels font très clairement défaut sur le haut des fleuves. »
Un rapport au point mort
Le rapport avançait, il y a un an, 37 propositions. En fait, peu de choses ont avancé : le fonds de 50.000 euros promis par le ministère a disparu, les internats sont toujours délabrés, leurs literies défoncées, l’alimentation peu adaptée. Les rotations des personnels de santé ne se sont pas améliorées. Les populations qui vivent en site isolé ne bénéficient pas des services de la République. Celle-ci reste « une et indivisible » quand il s’agit de reconnaître les peuples autochtones et elle n’est plus là quand il s’agit d’appliquer la devise de l’égalité.
Pour la Ministre cependant des choses bougent : « Dans le projet de loi sur l’égalité réelle, nous demandons l’installation du Grand conseil coutumier amérindien/bushinengué. La proposition est actuellement en navette et passe en Janvier au sénat. La capacité morale donc juridique serait reconnue par ce conseil. Il nous faut accentuer la prise en charge médicale des patients et renforcer le suivi psychologique des suicidaires et de leurs familles avec la préfecture, la sécurité civile, l’hôpital, le Samu…afin qu’une cellule d’urgence puisse intervenir rapidement dans les communes de l’intérieur. Nous travaillons également à un projet d’apprentissage à la parentalité à Camopi. »
Vision jacobine
Cette dernière proposition a déclenché l’ire de Christophe Pierre, originaire de Camopi, qui a pris la parole au nom des associations représentatives des peuples autochtones : « Nous sommes étonnés de ne pas avoir été associés à ces décisions prises dans un bureau …. D’abordnous ne sommes pas des « indiens » ou des « amérindiens », mais des peuples : Wayana, Wayampi, Kalina, Galibi, Tekos… » Il a remis fortement en question « ceux qui parlent de ce qu’ils ne connaissent pas » La multiplication de réponses techniques (rotation d’hélicoptère, création de relais de santé…) ou la création de postes de surveillance de la santé, n’est pas une réponse complète pour les peuples de la forêt. Ils réclament le maintien de leurs hommes-médecine - les chamans - le respect de leur connaissance de la pharmacopée naturelle. En clair, ils réfutent des modèles imposés depuis l’Hexagone et veulent une médecine construite à partir de leurs savoirs et de leur culture. Ou au moins une transition ?
Ecole broyeuse d’identité
Parmi les grandes causes du désordre, celle de l’école est pointée du doigt. Le français obligatoire dans le cadre de l’école publique n’est pas la langue originaire de ces peuples Or non seulement les « gamins de dix ans qui partent pour l’école obligatoire se trouvent séparés de leurs parents mais ils sont également plongés dans un univers d’incompréhension. » D’où une revendication renouvelée d’un besoin de traducteurs « pour comprendre les papiers administratif, pour accompagner dans toutes les démarches : il nous faut des intervenants en langue maternelle (les ILM) » , avec mise en œuvre d’une charte de la diversité culturelle, une structure qui puisse accueillir et former ceux qui arrivent. « Nous devons éduquer les politiques. Il leur faut accepter que nous ne perdions pas nos langues, ne serait ce que pour pouvoir travailler en forêt » .
République inégalitaire
Ce souhait est bien compris des dirigeants du parc national amazonien qui gèrent avec l’ONF cette immense forêt dont ils ne connaissent que ce que les chercheurs occidentaux ont bien voulu leur apprendre. Cette exigence leur paraît incontournable aux possibles créations d’emplois. De même qu’il convient localement de réfléchir à des formations qui seront utiles aux gens du fleuve et de la forêt et non de les former à des métiers inexerçables dans les communes du sud du pays encore coupées de la modernité.
D’ailleurs pourquoi cette coupure ? Certes le territoire est immense et difficile d’accès. Mais pourquoi l’eau, l’électricité et le téléphone sont-ils si lents à parvenir au cœur du territoire qui héberge la fusée Ariane, alors qu’au Surinam voisin, et dans les mêmes conditions géographiques, le téléphone portable fonctionne ?
Le collège, preuve de volonté politique
C’est une vieille histoire entre les peuples du sud et la Région Guyane. Le chef Aiku Alemin, porte-parole du peuple Wayana et conseiller municipal de Maripasoula (pour rappel la commune de Maripasoula a la taille de la Belgique ), avait écrit au Président de la République pour réclamer la construction d'un collège à Taluen "indispensable" pour aider les enfants qui souhaitent poursuivre leurs études, sans être obligés d'être envoyés dans des familles d'accueil sur le littoral guyanais où les enfants ne sont pas surveillés, vont rarement en cours et sont donc livrés à eux-mêmes, s'adonnant à la drogue, l'alcool etc...". Aline Archimbaud dans son rapport insiste sur ce point « la création d’un lycée à Maripasoula et d’un mini-collège en pays Wayana, à Taluen, avec la création, a minima, d’une classe de 6e et d’une classe de 5e apparaît dans l’immédiat indispensable ». Alors où sont les obstacles ? On avance la difficulté à construire en site isolé. Nombre de rapports prouvent qu’il s’agit souvent de blocages administratifs. L’association Métamorphose outremers, le Gret, les travaux menés par l’architecte Frank Brasselet et le CAUE prouvent qu’il est aujourd’hui possible de construire autrement qu’avec des « algecos » mal adaptés au climat. La SYMCO est mobilisée sur le sujet et les acteurs compétents ne manquent pas en Guyane.
Jocelyn Thérèse, président du Conseil Consultatif des Populations Amérindiennes et Bushinengué (CCPAB), a mis en question la Collectivité territoriale guyanaise (CTG)représentée par sa vice-présidente « Pour l’instant les fonds ne sont toujours pas débloqués. Il nous faut venir à Paris pour rencontrer des gens qui refusent de nous recevoir sur place. Si le collège de Taluen n’est pas inscrit au budget 2017 (la CTG attend le pacte d’avenir) nous bloquerons la Présidence ». Plusieurs fois, il a été reproché aux autochtones de ne pas assez s’investir dans la vie politique guyanaise. Dont acte : « Nous allons créer un parti amazonien » ont-ils déclaré.
Source: http://www.globalmagazine.info/meli-melo/2016/12/21/guyane-mourir-de-trop-de-france-1482280055