ÉTATS-UNIS : LITTLE HAÏTI, ENCLAVE CREOLE EN PLEIN MIAMI
Par Carole Rap
"Ne manquez pas Little Haïti, l'un des plus beaux quartiers de Miami", recommande le Lonely Planet consacré à la Floride. "Quartier déshérité essentiellement peuplé par des Haïtiens, arrivés à Miami de 1975 à 1985. A éviter", indique à l'inverse le Guide du Routard dans son édition 2010. La curiosité en éveil, vous décidez de vous forger votre propre opinion et embarquez dans un taxi (jaune).
Première halte à la librairie Mapou, située sur NE 2nd avenue, l'artère principale du quartier. Sur le fronton d'une jolie façade rose, la sage inscription "Libreri Mapou Bookstore" ne dénote rien d'inquiétant. Affable et souriant, Jan Mapou, 68 ans, évolue au milieu de quelque 3 000 ouvrages. Le prix Médicis 2009, décerné à l'écrivain d'origine haïtienne Dany Laferrière pour L'énigme du retour, jouxte des essais politiques en français ou en anglais, des romans en créole et des dictionnaires créole-anglais.
Little Haïti s'est développé dans les années 70 et 80, avec l'arrivée de milliers de boat people. "Plus de 50.000 Haïtiens ont vécu dans cette partie de Miami, un quartier italien qu'on appelait Lemon City pour ses plantations de citronniers. Ce nombre va décroissant car une avalanche d'Haïtiens va du côté nord", raconte le libraire. Ils seraient aujourd'hui 30.000 à habiter ce quartier situé au nord de Design District.
Jan Mapou, qui a quitté son île natale en 1971, a ouvert cette librairie en avril 1990. Fervent défenseur de sa langue maternelle – en 1965, il a participé à la fondation du mouvement créole haïtien, Sosyete Koukouy, dont il a ensuite créé la branche de Miami - il a composé lui-même une dizaines de livres. Il prépare une anthologie de la poésie créole ainsi qu'une autobiographie. Le tout entièrement en créole haïtien.
A l'étage, un mur fait sa fierté: des dizaines de phrases-autographes y sont inscrites de la main des écrivains qu'il a accueillis dans le cadre de rencontres littéraires. Le premier fut… Dany Laferrière, le 13 avril 1997. Plus insolites, des bouteilles de Kremas Mapou, épaisse boisson sirupeuse à base de rhum, de coco et de lait concentré préparée par son épouse, trônent derrière la caisse. Jan Mapou n'est pas qu'un pur esprit… Les esprits, ceux des 121 loas du vaudou haïtien, surgissent dans les botanicas.
Dans ces échoppes d'où s'échappent musique des îles et parfums d'encens, les prêtres du vaudou invoquent Papa Loco, divinité des plantes et esprit guérisseur, en secouant le açon, petite calebasse entourée de perles. Plusieurs botanicas bordent la NE 2nd avenue. Chez Vierge Miracle & St Philippe Botanica, une prêtresse maussade raccompagne fermement à la porte le visiteur curieux n'ayant pas l'intention d'ouvrir son porte-monnaie. Mais chez Santa Barbara Botanica, Papa Laider André et Johnny, qui se disent frères, se montrent nettement plus accueillants. A condition d'être soi-même respectueux du lieu. Ici, images saintes, statues de la Vierge, du Bouddha, de Papa Loco ou de Santa Barbara côtoient des bouteilles de vin encapsulées. Flacons de shampoing, poupées vaudou, crânes et bougies s'empilent en un étrange capharnaüm.
"Quand tu crois, tu crois. Quel que soit le Dieu". Ainsi parle Johnny, l'un des deux prêtres vaudou. Parmi les clients, beaucoup d'Haïtiens. Certains sont catholiques, d'autres baptistes ou pentecôtistes. " Si vous aimez quelqu'un, vous venez ici et on va travailler pour vous le donner, pour tout le temps. Si vous avez quelque chose de mal, vous venez ici pour être guéri. Il faut appeler l'esprit. " En voyant les poupées vaudou, on se demande si les deux hommes jettent aussi des sorts. " On est là pour aider les gens qui ont des problèmes, pour faire du bien et pas du mal ", rassure Papa Laider André. Quand il était petit, raconte-t-il, il a pratiqué avec sa grand-mère, elle-même prêtresse à Petit Goyave, en Haïti. Ils allaient dans un péristyle, " un bâtiment spécial pour les esprits ". " On naît prêtre vaudou ", assure-t-il.
Autre lieu, autre ambiance. Dans un bâtiment neuf aux fresques riantes, le Centre culturel haïtien a vu le jour en janvier 2009. Financé par la ville de Miami , il a pour but la promotion de la culture afro-caribéenne au travers de spectacles et d'expositions. Fin 2009, les œuvres d'une vingtaine d'artistes du bassin caribéen y étaient accrochées dans le cadre de l'exposition Global Caraïbes, initiée par la France (et accueillie l'été dernier au Musée international des arts modestes de Sète). Ces initiatives culturelles tentent ainsi de dynamiser un quartier encore boudé par les visiteurs à cause de sa mauvaise image. Certes, personne ne vous conseille d'aller déambuler seul, à minuit, dans les rues de Little Haïti. Mais en plein jour, ce quartier attachant est véritablement "à ne pas manquer".
Par Carole Rap