« La négritude est une renonciation ». Les premiers enseignements de Wole Soyinka en Haïti
Lors d’une cérémonie à son honneur à l’hôtel Montana mercredi, Wole Soyinka, l’écrivain et prix Nobel de littérature, a tenu un discours d’un peu plus d’une demi-heure, riche en enseignements. En exclusivité, nous vous livrons une première partie de son discours prononcé entièrement en anglais.
« Je commencerai par partager avec vous la grande émotion que j’ai éprouvée hier quand j’ai été honoré par des étudiants de l’IERAH, au sein même de leur faculté. En fait, j’ai été honoré deux fois hier. Une première fois au Palais national par le président de la République, une seconde fois à l’université. L’attention portée à ma personne par ces jeunes gens m’a profondément ému. Je ne voudrais pas être ingrat vis-à-vis du président de la République, mais ma préférence va à la distinction offerte par les étudiants, dans leur contexte de vie et de travail.
J’ai beaucoup apprécié aussi l’exposition qu’ils (ces étudiants ndlr) ont proposés. Cela montre leur engagement de leurs racines africaines. Cette exposition faite de différents objets m’a permis de faire une analyse comparative entre certains éléments de la mythologie africaine et ce que j’ai pu voir ici. Dans leur exposition, j’ai retrouvé Eshu, Shango, Ifa qui sont des artefacts importants de la culture Yoruba. J’ai pu apprécier la diversité des sculptures proposées et me rendre compte de la richesse de la culture haïtienne. Je sais qu’ils ont été inspirés par Ifa, la déesse de la créativité et de la technologie.
La créativité et la mythologie sont deux éléments dans lesquels j’ai évolué depuis mon enfance. Ce sont vraiment les deux mamelles qui m’ont nourri. Aujourd'hui, je suis souvent très déçu face à des populations de la diaspora qui ont perdu leur connexion avec ces deux entités.
La mythologie constitue une base essentielle à l’expression de l’intelligence humaine. C’est une ressource pérenne qui ne s’épuisera jamais. La technologie puise ses ressources dans la mythologie. Celle ci n’est pas une entité abstraite, c’est une entité matérielle. Toute oeuvre artistique est de la pure mythologie.
La situation actuelle du monde est liée à la désagrégation de la relation entre les hommes et la mythologie. Ils ont donc un peu perdu la source de leur créativité. L’une des caractéristiques de la culture Yoruba est la reconnaissance de l’influence de la mythologie.
A propos de la négritude
Un sujet qui est récurrent depuis que je suis arrivé en Haïti et, qui certainement va encore revenir, est celle de la négritude. Permettez-moi de ne pas comprendre le sens de la négritude.
La négritude est le résultat d’un système colonial abrasif. La question de la négritude est une renonciation et une fabrication abstraite d’individus traumatisés par le système colonial. Evidemment il n’y a pas de débat. Aucun Africain n’a à chercher son africanité perdue. Car L’Afrique vit en eux.
J'aime beaucoup citer mon ami le romancier Camara Laye qui dit : « Ceci n’est pas un pays, car, il n'y a pas de soleil, il n’y a pas de piment alors qu'en Afrique il y a du soleil, il y a du rythme, il y a du piment. »
Personnellement, pendant longtemps, quand j'allais en Europe, j’apportais ma dose de piment dans ma poche pour pouvoir survivre, me donner un peu de rythme et de mythe. Et ceci représente toute l’essence de la négritude.
Pour moi, nous devons nous poser les questions essentielles, à savoir qui sommes nous vraiment, où allons nous, que faisons-nous dans le monde. Au-delà des considérations nationalistes brandies par certains, nous devons nous poser la question de l'identité.
Cette question est en partie éludée dans le concept de négritude défendue par Léopold Sédar Senghor, mais pas totalement. Car le fait d’être noir va au-delà de toute considération physique. Elle est d’ordre philosophique et mythologique. Pour tout Africain, cette africanité est une évidence, ce n’est pas une entité qui part et qui vient, ni qui a besoin d’être écrite et enfermée dans des livres.
L’opposition de la culture africaine à la culture européenne est un mythe. Sur ce continent, l’intuition créatrice est partout. Elle est dans les couleurs, elle est dans les danses. Je suis désolé d’être aussi lyrique. Mais dans certaines mythologies africaines, vous trouverez des structures textuelles qui sont comparables à la structure des opéras européens.
En dépit du fait que la période esclavagiste ait réduit les meilleurs éléments de notre continent à la condition de bêtes, ce qui a été dramatique pour l’évolution de la pensée africaine, mais les différentes mythologies dont le continent se nourrit continuent d'être des vecteurs permanents de la créativité et de l'évolution technologique.