France-Albert René, mort d’un résistant de la mer indienne
France-Albert René, mythique ex-président des Seychelles, est mort à 83 ans, le mercredi 27 février 2019. Il a mené à bien une expérience de « nation socialiste » dans ce petit pays de l’océan Indien [moins de 100.000 habitants], un archipel de 115 îles. Instituant le créole comme première langue officielle [parlée par 98% de la population], la république des Seychelles se distingue par un niveau de vie parmi les plus élevés d’Afrique. La carrière de France-Albert René a été émaillée de soubresauts et d’épisodes rocambolesques dignes de films d’espionnage. Hommage à ce résistant de l’indianocéanie.
Un régime révolutionnaire « non-aligné »
C’est une figure charismatique de l’océan Indien qui disparaît ce mercredi 27 février 2019. France-Albert René a instauré aux Seychelles — ancienne colonie britannique — un régime révolutionnaire « non-aligné » se revendiquant « marxiste », basé notamment sur une politique soutenue de protection sociale [exemple : gratuité des soins et du cursus scolaire, etc.].
Acteur décisif de l’échiquier politique et économique de l’océan Indien, panafricaniste convaincu et actif, bâtisseur de la Commission de l’ocean Indien, il dénonçait la misère et l’exploitation et s’est investi notamment pour la démilitarisation de la zone, réclamant le démantèlement des bases militaires [exemple : Diego Garcia de l’archipel des Chagos, occupé par l’US Army] et entraînant dans cette démarche le ralliement de personnalités influentes comme le Mauricien Paul Berenger [Mouvement militant mauricien] ou encore le Réunionnais Paul Vergès [Parti communiste réunionnais].
- Victoria, capitale des Seychelles, sur l’île de Mahé.
France-Albert René résiste !
Grâce au modèle progressiste dans lequel il installe son pays, celui qui se décrivait comme un « socialiste de l’océan Indien » parvient à attirer des capitaux étrangers vers l’archipel et ainsi à développer l’économie seychelloise, particulièrement à travers la manne que représente le tourisme.
Avocat appartenant à une famille d’origine française de lointaine ascendance bretonne, France-Albert René est né le 16 novembre 1935 sur l’île de Mahé, dernier d’une fratrie de 6 enfants. Il fonde en 1964 le Parti uni du peuple des Seychelles (SPUP).
Ainsi démarre un parcours politique atypique et détonnant qui fera de lui à maintes reprises la cible des Etats-Unis, de la Grande Bretagne et de l’Afrique du Sud, les Seychelles représentant un point stratégique important dans l’océan Indien. Les administrations Carter et Reagan craignaient en effet que l’Union soviétique n’utilise les Seychelles pour verrouiller l’accès à la base de l’US Army à Diego Garcia. France-Albert René mettra en échec toutes les tentatives de renversement de son gouvernement et résistera !
- Le siège du Seychelles United Party (SPUP) transformé en Musée Politique National le 2 juin 1984. Bâtiment centenaire au cœur de Victoria.
5 juin 1977 : un coup d’Etat réussi et sans effusion de sang
Entre 1977 et 1986, l’archipel des Seychelles subit un coup d’Etat réussi et plusieurs tentatives de coups d’Etat. Le premier coup d’État [sans effusion de sang] s’est déroulé le 5 juin 1977. L’objectif était d’empêcher le président pro-occidental, James Mancham, de suspendre l’élection présidentielle de 1978 et de prolonger ainsi son mandat de sept ans dans la perspective de se proclamer président à vie.
A cette époque, l’archipel ne compte que 40.000 habitants. 60 militants armés et formés en Tanzanie dirigés par Ogilvy Berlouis et James Michel prennent le pouvoir au petit matin du 5 juin 1977. Un couvre-feu est établi et une milice populaire recrutée.
Le Parlement est dissout et le Premier ministre, France-Albert René — qui formait un gouvernement de coalition avec James Mancham depuis l’indépendance du pays le 29 juin 1976 —, prête serment en tant que président. L’absence chronique de Mancham avait facilité les choses : l’homme d’affaires avait passé moins de deux mois dans le pays depuis 1976.
1981 : débarquement de mercenaires
Un système de parti unique est mis en place en 1979, après la défaite de l’avocat Robert Frichot à l’élection présidentielle. Le nouveau président, France-Albert René, noue des liens étroits avec l’URSS [la marine soviétique obtient des installations d’ancrage aux Seychelles].
Cet axe pro-soviétique, combiné à un fort soutien à l’ANC [aux côtés du Tanzanien Julius Nyerere] et aux mouvements de libération socialistes en Afrique, a eu pour effet d’incommoder sérieusement la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Afrique du Sud. En 1979, Pretoria engage d’ailleurs le célèbre mercenaire irlandais Mike Hoare afin de renverser France-Albert René et de remettre James Mancham à la présidence.
Le 25 novembre 1981, Hoare et une cinquantaine de recrues atterrissent à l’aéroport de Mahé sous le faux prétexte d’un séjour touristique. Mais un agent des douanes découvre un AK47 dans le double fond d’une valise du groupe et donne aussitôt l’alerte.
- Port de Victoria, Mahé.
Se débarrasser des armes par la porte d’un avion en plein vol...
Dans la confusion qui s’ensuit, les putschistes menés par Hoare parviennent toutefois à s’emparent d’un avion de ligne indien qui vient tout juste d’atterrir et le détournent en direction de Durban, en Afrique du Sud.
Cependant, quatre mercenaires n’ont pas réussi à monter à bord de l’avion. Condamnés à mort par pendaison, ils sont finalement expulsés vers Afrique du Sud en 1983, après presque deux années passées dans le couloir de la mort aux Seychelles [1].
Dans l’avion détourné d’Indian Air qui vole vers Durban, une scène surréaliste se déroule. Mike Hoare souhaite se débarrasser de son arsenal avant l’atterrissage en Afrique du Sud et imagine jeter les armes dans les airs, au dessus de la mer. Il exige donc du pilote qu’une des portes de l’avion pressurisé soit ouverte ! Ce dernier se contente de lui demander s’il a déjà voyagé en avion... Les mercenaires sont arrêtés à leur arrivée en Afrique du Sud.
- France-Albert René.
Les renseignement indiens déjouent une attaque sur Mahé
En juin 1985, Ogilvy Berlouis se retourne contre France-Albert René et tente une prise de contrôle militaire des Seychelles impliquant des mercenaires avec le soutien de l’Afrique du Sud et de la Grande-Bretagne, laquelle devait envoyer deux navires de la Royal Navy pour soutenir le coup d’État.
Mais les services de renseignement indiens informent France-Albert René de cette nouvelle tentative de renversement et l’Inde envoie la frégate INS Vindhyagiri à Mahé — opération baptisée « Flowers is Blooming ». Coup d’état avorté.
Le danger n’est cependant pas écarté car Ogilvy Berlouis tente une nouvelle opération en août alors que France-Albert René assiste à une réunion « non alignée » à Harare [Zimbabwe]. Les services soviétiques fournissent l’information aux services secrets indiens qui avertissent France-Albert René.
- France Albert René. Photo : Joe Laurence / Seychelles News Agency.
France-Albert René déguisé en sari traditionnel ?
France-Albert René s’est-il alors déguisé en Indienne vêtue du sari traditionnel pour revenir incognito aux Seychelles afin de réprimer le complot contre lui ? Cette version de l’histoire — véridique ou romancée — ne fait pas qu’ajouter une dimension extravagante et fascinante au roman seychellois : elle démontre dans le même temps que l’esprit de résistance qui animait France-Albert René ne s’embarrassait pas des conventions et qu’il pouvait être plus malin et tenace que l’ennemi.
Suite à cet épisode, l’Union soviétique envoie dès le mois d’octobre des troupes amphibies pour renforcer les forces armées des Seychelles.
En juillet 1987, une autre conspiration est tuée dans l’œuf. Elle visait à capturer les militants de l’ANC en exil aux Seychelles et à se débarrasser de France-Albert René.
- France Albert René, sa femme, Sarah Zarquani et leurs filles. Photo : Joe Laurence / Seychelles News Agency.
1991 : retour au multipartisme
En 1991, les Seychelles reviennent au multipartisme [suite à un congrès extraordinaire du Front progressiste du peuple des Seychelles (SPPF)] et France-Albert René remporte toutes les élections présidentielles qui suivent.
Le 14 avril 2004, il démissionneà 68 ans, après 27 ans à la tête du pays et deux ans avant la fin de son dernier mandat constitutionnel, en faveur du vice-président James Michel. Il se consacrait depuis au SPPF.
7 Lames la Mer