INAYAT RAMJEAN: «UN VILLAGE CREOLE POUR FAVORISER LE TOURISME CULTUREL ET VALORISER L’HISTOIRE»
Récipiendaire du Prix d’excellence du développement des affaires 2016, Inayat Ramjean jette un regard sur le tourisme mauricien et ses contraintes. Il analyse les stratégies à élaborer localement.
Parlez-nous du prix que vous venez de remporter.
Il s’agit d’un titre accordé aux directeurs du Business Development pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Cela couvre 58 pays. Les critères sur lesquels nous sommes choisis relèvent des résultats produits, des stratégies mises en place, de la vision envisagée pour l’organisation entre autres. Cela m’a surpris. Je suis fier d’être Mauricien et de faire partie du groupe Hilton, pour lequel ce prix m’a été attribué. Celui-ci soulève votre profil localement et internationalement. Parallèlement, cela motive à de meilleures attentes et résultats.
Le secteur touristique n’a cessé de se diversifier. Quelle est sa prochaine évolution ?
Le tourisme a le potentiel de relancer notre croissance et de doubler la contribution actuelle au produit intérieur brut (PIB). De plus, nous avons, à Maurice, un capital humain doté d’un niveau intellectuel et éducatif qui positionne le pays comme un role model. N’empêche qu’on a laissé passer plusieurs occasions… Si certaines stratégies avaient été mises en place, cela aurait fait évoluer le secteur touristique à plus grande échelle.
Les diversifications touristiques sont établies. En termes d’évolutions, cela oscillera autour de la consolidation de cette base. Il faudra travailler à long terme et à toutes les saisons, et ce, en créant plus de partenariats et en améliorant la productivité des personnes du segment.
Quels sont donc ces actes manqués ?
Maurice est connu comme un leisure segment. Vous attendez surtout les familles, les couples et les célibataires. Pour fidéliser ces voyageurs, il faut des parcs d’attraction et des activités sociales et récréatives la nuit. Voyez Dubayy. Ce pays a beaucoup évolué grâce à la contribution du tourisme à hauteur de 7,5 milliards de dollars en 2015.
Pourtant, Maurice dispose davantage de plages et de sites naturels que Dubayy. L’île devrait donc être en position de force comparativement.
Qu’a fait Dubayy ? Cette nation a constitué des parcs thématiques comme le Six Flags, le Seaworld, etc. Dans le même ordre d’idées, les centres commerciaux devraient créer des mini-parcs d’attraction au sein de leurs édifices. Et du côté Business, il y a un potentiel énorme à développer, à l’exemple des réunions, incentives, conférences et l’événementiel.
Nous avons les atouts. Ce qui manque, c’est la commercialisation. Sur la scène internationale, on voit un peu plus les Seychelles et les Maldives, forts d’une synergie créée entre les gouvernements respectifs, le secteur privé, les ambassades, les agences de voyages et, surtout, les compagnies aériennes. Que se passet- il pour Maurice ? Il faut voir ce qui se fait dans la réalité.
Que cherche le touriste en choisissant Maurice comme destination?
Quand le touriste atterrit, il s’attend à ce que cela corresponde à l’image rêvée. Cela va de l’aéroport à son hôtel en passant par les routes et les paysages traversés pendant le trajet. Mais lorsqu’ils empruntent des chemins non asphaltés ou pas éclairés, ils peuvent en ressortir déçus. Un autre aspect : un Duty Free compétitif internationalement. Si on a un objectif de 5 millions de touristes d’ici dix ans, facilement ces gens-là vont venir dépenser dans ces boutiques hors taxes.
Nous n’avons pas assez de marques. Il est vrai qu’il y a du shopping artisanal. Mais pour les touristes haut de gamme, avons-nous les famous brands existant sur les Champs Elysées, Oxford Street etc. ? Il est grand temps de créer un Champs-Elysées à Maurice. Cela pourrait tout aussi bienêtre une rue commerciale où les touristes viendraient passer la soirée.
Existe-t-il diverses catégories de touristes qui viennent à Maurice?
Tout d’abord, il y a le touriste haut de gamme. Celui-ci a de l’argent à dépenser. Il va dans les resorts familiaux, des centres commerciaux et cherche des parcs récréatifs. Il voyage en voiture. À l’autre extrémité, on trouve le touriste bas de gamme. Celui-ci est plus économe et traditionnel. Il va plutôt aller vers les marchés et fera moins d’achats. Il favorise aussi des sites naturels comme la plage et privilégie les transports en commun pour ses déplacements.
Et finalement, nous avons une catégorie émergeant d’une mixité des deux. À la fois, le touriste peut voyager en autobus et fera du selective shopping. Il touche un peu au haut de gamme et en même temps, il va essayer de faire des économies.
Quelles sont les stratégies à préconiser dans ce secteur ?
Maurice doit innover et continuer à développer ses infrastructures et installations propices à la promotion touristique. Je vous parlais des routes qui doivent être mieux structurées et éclairées. Maintenant, il y aurait d’autres stratégies à instituer. Par exemple, on a commencé à cibler la Chine. Ce marché nécessite une stratégie spécifique afin de répondre à ses besoins. Il est primordial de promouvoir l’île de manière plus agressive auprès de ce pays.
Puis, nous devons analyser la fréquence des vols et déterminer une politique convenant à tous budgets et aux différents types de touristes. D’ailleurs, ceci pourrait s’appliquer aux pays du Moyen-Orient. Puis, il faut que les communautés locales soient partie prenante du tourisme. Prenez le cas de Rust, une petite ville allemande ayant conçu un Euro Park, une des attractions majeures sur le continent. Ses résidents ont vu leur niveau de vie s’élever sans qu’ils soient bafoués socialement. Le tourisme rassemble les cultures. La stratégie qui va marcher : les citadins et les villageois doivent contribuer au tourisme. Ainsi, nous atteindrons le développement communautaire et créerons de nouvelles opportunités en favorisant un rapport entre tradition et modernisme…
Dans quelle mesure un tel enchevêtrement entre la tradition et le modernisme peut-il être atteint ?
Pour illustrer cela, on pourrait repenser le China Town, le Little India et l’Arab Town, en y instituant des facilités culinaires, des articles traditionnels et des activités. Cela pourrait tenir sur quatre à six districts spécialisés dans ces thèmes. Ainsi, ces quartiers deviendraient des sites d’attraction pour les touristes et les citoyens.
Il faudrait ajouter à cela le volet culturel et historique. Pourquoi ne pas constituer un village créole qui retracerait nos origines ? Et avec des hôtels, des soirées à thèmes, nous augmenterions les capacités d’accueil avec un plan marketing mieux structuré.
À l’international, les procédures liées au tourisme se font souvent en un clic. À Maurice, les technologies y sont-elles suffisamment intégrées ?
À échelle internationale, les pays qui contribuent le plus à l’économie globale sont ceux qui sont plus avancés technologiquement. Le touriste moderne qui arrive à Maurice veut communiquer aussi efficacement que ce soit à Londres ou à Paris. L’Inde, par exemple, est en train d’introduire une connexion Wi-Fi accessible à tous dans plusieurs régions. La communication est à la base de tout. D’ailleurs, pour faire du marketing plus efficacement, il nous faut impérativement utiliser les médias sociaux. À Maurice, il faut améliorer la vitesse de connexion et favoriser une meilleure répartition des réseaux. Nous avons accusé un retard considérable sur ces infrastructures technologiques. Il nous faut aller plus vite en ce sens.
Qui est-il ?
Né à Camp-Diable, Inayat Ramjean a grandi à Bon-Accueil et à Curepipe. Ancien élève du collège Royal de Curepipe, il a étudié à Londres dans les domaines de l’Airline et du Hospitality Management. En l’an 2000, il était directeur régional pour le groupe Accor. Puis en 2007, il a occupé le poste de directeur commercial sur la région. Il est actuellement directeur du Business Development pour le Jeddah Hilton et le Waldorf Astoria Jeddah, en Arabie Saoudite.